RÉSUMÉ :
L’étude a pour objectif de montrer que le droit du développement s’est non seulement reconfiguré aujourd’hui, mais de plus, a vu émerger à ses côtés unenouvelle branche du droit appelée « droit de la reconnaissance ». Ce faisant, les deux droits du développement et de la reconnaissance doivent être pensés ensembles, car ils sont très souvent liés et ils constituent peut-être les nouveaux « piliers » d’une société mondiale plus juste, c’est-à-dire qui soit fondée à la foissur l’équité et le respect.
Comme le traduit l’intitulé de cette intervention je souhaite expliquer qu’en raison de la fin de la guerre froide et l’avènement de la mondialisation, le problème du droit relatif au développement ne peut plus être appréhendé de la même façon : non seulement il a été lui-même profondément reconfiguré, mais, en outre, on a vu émerger, à ses côtés, un nouvel ensemble de pratiques et textes juridiques que j’appelle « droit international de la reconnaissance ». Ce faisant, je souhaite aussi montrer que ces deux droits relatifs au développement et à la reconnaissance, pensés ensemble, forment peut-être les possibles « piliers » juridiques d’une société mondiale à venir plus juste, une société qui soit à la fois plus équitable (grâce au droit du développement ou « droit social ») et plusdécente (c’est-à-dire fondée sur le respect de l’Autre grâce au droit de la reconnaissance). Enfin, et comme on le voit, je souhaite aussi relier ces deux droits avec la notion de justice sociale globale1[1]La qualificatif de « global » veut signifier que la justice sociale n’est plus seulement internationale car cette question concerne, de façon directe, non seulement les Etats mais aussi les … Continue reading.
Le fait d’évoquer la question de la justice dans une étude consacrée au droit international n’a pas de fonction polémique comme on peut parfois le penser au sein de la discipline internationaliste francophone. J’aimerais simplement montrer comment sont envisagées au niveau éthique des questions qui ne se réduisent pas à leur aspect juridique et technique et comment on peut en discuter sans tomber nécessairement dans l’arbitraire de l’idéologie ou dans la moralisation du droit2[2]V. à ce sujet BOYER (A.), « Justice et égalité » in KAMBOUCHNER (D.) (dir.), Notions de philosophie, III, Paris, Gallimard, 1995, p. 10.. Cela ne disqualifie pas en soi ce que l’on appelle en France la dogmatique juridique matrice dominante des internationalistes français qui vise à l’interprétation et la systématisation des règles juridiques3[3]V. ARNAUD (A.J.) (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris,LGDJ, 1993, p. 188., mais revient à adopter une autre démarche en élargissant le champ d’investigation et de réflexion au-delà du seul jugement technique sur le droit4[4]V. à cet égard les trois catégories de juriste introduites par DUPUY (P-M.) et KERBRAT (Y.), Droit international public, 12ème éd., Paris, Précis Dalloz, 2014, pp. 9-10..
C’est l’espoir que l’on puisse à nouveau entendre le juriste internationaliste, non pas seulement en tant que juriste spécialiste, technicien, mais en tant que généraliste, ce que Armin Von Bogdandy appelle de ses voeux comme étant « un intellectuel public »5[5]VON BOGDANDY (A.), « La science juridique dans l’espace juridique européen, une réflexion à partir de l’exemple allemand », Recueil Dalloz, 2011, 24, pp. 2816-282. V. aussi PROST (M.), … Continue reading. Et c’est en ce sens que je fais cette présentation, adoptant par là même une forme d’interdisciplinarité pour un point de vue « externe modéré »6[6]Je reprends ici les distinctions d’ordre méthodologique désormais bien connues et utilisées de VAN DE
KERCHOVE (M.) et OST (F.), Le système juridique entre ordre et désordre, Paris, PUF, 1988, … Continue reading. C’est-à-dire que j’essaye d’expliquer les évolutions du droit du développement en tenant compte à la fois du « point de vue interne » des juristes, mais en le rapportant aussi à d’autres faits et discours sociaux qui lui sont
étroitement liés. Je ne rentre pas non plus dans le détail des textes et pratiques juridiques qui rendraient trop volumineuse cette étude -mais je l’ai fait ailleurs7[7]V. JOUANNET (E.), Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? Le droit international entre développement et reconnaissance, Paris, Pedone, 2011. Et quand bien même là encore je tente un … Continue reading puisque je voudrais montrer qu’en tant que juristes internationalistes, nous sommes aussi les mieux placés pour parler des évolutions majeures du droit international sans entrer dans la spécialisation, la seule appréciation technique et donc le seul« discours interne du droit ». Le discours du spécialiste est évidemment essentiel, il s’est d’ailleurs en partie constitué sur un rejet des grandes théories de l’entredeuxguerres ainsi qu’en raison de la complexité et la technicité grandissantes du droit international, mais la spécialisation nous a amenés progressivement à occulter complètement notre travail de généraliste, de théoricien et de réflexion critique sur le droit. Elle l’interdit même dans la mesure où elle s’appuie le plus souvent sur une démarche strictement positiviste formaliste. Et pourtant ce second type de réflexion juridique, et je dis bien juridique, est essentiel, aussi bien pour le théoricien que pour le praticien du droit international, et il est bien plus largement pratiqué dans d’autres régions du monde.
S’agissant enfin du droit lui-même, je pars de l’idée qu’il n’y a pas une définition vraie du « droit » et pas non plus une définition vraie du seul « droit positif »8[8]Ce qui est différent de la question de multiplicité de sens du positivisme. V. sur la question, non pas seulement du « droit positif » mais du « legal positivism, l’ouvrage très stimulant de … Continue reading. Suivant les uns et les autres, suivant les cultures, les milieux académiques, les positions de chacun, nous défendons telle ou telle conception de la normativité et de la juridicité. Nous pouvons même adapter notre conception de la juridicité suivant les institutions (les juridictions internationales par exemple), les entités ou les Etats puisque dans ce cas nous privilégions le plus souvent stratégiquement la conception du droit qu’ils adoptent afin de pouvoir obtenir éventuellement gain de cause auprès d’eux. Autrement dit, et pour faire bref, je renvoie ici l’interprétation de cette étude et, des textes auxquels je fais référence en notes, à ce que chacun pense de la juridicité et de la normativité, sachant que, selon moi, aucune de ces interprétations n’est la « vraie » définition du droit et du droit positif et n’est aucunement partagée de façon unanime par les acteurs/sujets du droit international de l’ensemble de la planète ni par ce que l’on appelle les différentes « communautés épistémiques » des internationalistes du monde entier. Je ne voudrais pas créer de malentendus pour autant, je pense que la plupart des définitions du droit sont acceptables, mais qu’elles soulèvent toutes, y compris la mienne bien entendu, une question de représentation et d’argumentation. Il s’agit donc de défendre l’idée d’un pluralisme des conceptions du droit, de l’ontologie, de l’épistémologie et de la méthodologie qui leurs sont liées9[9]V. concrètement l’existence de ce pluralisme in RATNER (S. R.) and SLAUGHTER (A-M.), Methods in International Law, American Society of International Law Studies in Transnational Legal Policy, 2004 … Continue reading et des différentes facettes du juriste et de ses discours sur le droit comme étant le travail d’un juriste et comme étant un discours juridique10[10]Du reste l’utilisation du « je » au lieu du « nous » ne doit pas non plus créer de malentendus. Il ne s’agit pas de personnaliser un texte pour satisfaire je ne sais quel ego qui serait … Continue reading.
Ces quelques remarques introductives étant posées afin d’éclairer le propos qui va suivre, je reviens donc au fond du sujet. J’avancerai en réflexions successives portant sur l’évolution du contexte international (1), la reconfiguration du droit international du développement (2), l’émergence du droit international de la reconnaissance (3), l’articulation entre ces deux droits (4) et, enfin, la question cruciale de leurs relations avec le droit international économique (5).
I. L’ÉVOLUTION DU CONTEXTE INTERNATIONAL
La société internationale d’hier est devenue aujourd’hui une société mondiale/globale qui est à la fois postcoloniale et post-guerre froide. Or, comme j’ai tenté de le montrer ailleurs, ces deux grandes circonstances historiques, la décolonisation et la fin de la guerre froide expliquent, me semble-t-il, que la société mondiale soit aujourd’hui traversée par deux grands types d’injustice que la philosophe américaine Nancy Fraser avait identifiés pour les sociétés internes11[11]FRASER (N.), Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, Paris, La Découverte, 2006..
D’une part, la société mondiale connaît toujours des disparités économiques et sociales entre Etats, groupes et individus qui ont donné lieu à des revendications très fortes dès les années 1960 avec les premières décolonisations.
Ces inégalités, auxquelles participent désormais pleinement les grands Etats émergents, demeurent encore criantes aujourd’hui et posent toujours le problème de l’écart entre le droit à l’égalité juridique formelle et les inégalités réelles de situation des uns et des autres.
D’autre part, depuis la fin de la guerre froide, la société mondiale est de plus en plus confrontée à des revendications de respect d’ordre humaniste, mais aussi culturel et identitaire qui instaurent cette fois-ci une tension entre le droit à l’égale dignité de chacun et le droit à préserver sa différence. Les Etats défavorisés, ceux qui se sentent stigmatisés, mais aussi les peuples autochtones, les anciens colonisés, les ethnies, les minorités, les femmes, les homosexuels, les individus eux-mêmes aspirent aujourd’hui au respect de ce qu’ils sont à travers la reconnaissance juridique internationale non seulement de leur égale dignité et de leur égalité de statut, mais aussi à la préservation de leur identité, de leur genre ou de leurs cultures.
Or, pour répondre à ces deux types de revendications d’équité et de respect, il est extrêmement intéressant de voir que les sujets de la société mondiale ont élaboré deux types de remèdes traduits en règles juridiques : le droit international du développement et le droit international de la reconnaissance.
Les revendications liées à l’iniquité due aux inégalités socio-économiques des années 1960 ont conduit à la formulation d’un droit international du développement entendu ici dans un sens francophone et non pas anglophone12[12]La tradition francophone a ceci de spécifique qu’elle a contribué à rassembler entre elles des règles
et pratiques juridiques, sous le vocable droit du développement, qui avaient pour point … Continue reading comme solution de ces inégalités en se basant notamment sur un principe d’équité qui a pris d’abord la forme d’une différence de traitement juridicoéconomique entre Etats puis s’est reconfiguré aujourd’hui sous la forme d’un principe d’équité intergénérationnel et intragénérationnel, économique, environnemental et social. Le deuxième type de revendications d’ordre humaniste et culturel a donné lieu ces dernières années au droit international de la reconnaissance du respect de l’Autre. Il regroupe un ensemble de textes et de pratiques juridiques de reconnaissance au niveau international que l’on n’a pas jusqu’à présent théorisés comme tels ni regroupés ensemble alors que ce travail me semble essentiel à faire si l’on veut comprendre les évolutions en cours.
II. LA RECONFIGURATION
DU DROIT INTERNATIONAL DU DÉVELOPPEMENT
A. Le droit du développement classique face à la mondialisation
Pour résumer très brièvement un sujet autrement complexe, le droit du développement classique était avant tout économique et basé sur plusieurs éléments13[13]Pour une information plus détaillée v. JOUANNET (E.), Qu’est-ce qu’une société internationale juste ?, op. cit, pp. 25 et ss. : d’abord sur quelques grands principes aujourd’hui acceptés par tous comme, par exemple, le principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles. A travers lui, on visait également à élaborer un régime économique autonome pour les pays dits à l’époque « sous-développés » en instaurant un traitement différentiel ou à double standard permettant de tenir
compte de façon équitable de la situation extrêmement défavorisée des pays pauvres, tous les pays anciennement colonisés, dont la fameuse clause d’habilitation en matière commerciale ou encore le principe « d’obligations communes et différenciées » s’agissant, par exemple, du droit de la mer et actuellement du droit relatif à l’environnement. Enfin, ce droit du développement était bâti sur un principe d’égalité et de coopération d’égal à égal. Il voulait par là se substituer à l’ancien régime international, colonial et impérialiste, qui était fondamentalement discriminatoire et inégalitaire au plan juridique vis-à-vis des peuples colonisés14[14]V. en ce sens le discours (particulièrement ambivalent) du président Truman en 1949. Discours sur l’état de l’Union du 20 janvier 49, Déclaration du président Truman, Point IV, 20 janvier … Continue reading. On peut citer par exemple, la revendication de négociation et de vote à égalité entre le Nord et le Sud dans toutes les institutions internationales ou la clause de transfert de technologie incluse encore aujourd’hui dans plusieurs textes internationaux. Il en résultait une branche juridique nouvelle qui incluait un ensemble de textes et de pratiques, de nature
principalement économique, fondés à la fois sur le principe formel d’égalité juridique entre tous les Etats et sur l’inégalité matérielle réelle de situation entre les riches et les pauvres.
Toutefois ce droit du développement a connu un véritable échec en raison de multiples facteurs que je ne développerai pas ici, faisant perdre la foi à certains mêmes de ceux qui l’avaient le plus courageusement défendu15[15]V. JOUANNET (E.), Qu’est-ce qu’une société internationale juste ?, op. cit, pp. 41ss, pp. 62 et ss et
pp. 93 et ss. et si certains principes ont été maintenus, ils sont durement battus en brèche actuellement de façon explicite, mais surtout implicite par le biais de nouvelles réglementations connexes. En témoigne de manière frappante la façon dont le grand principe phare de souveraineté permanente sur les ressources naturelles est constamment mis à mal aujourd’hui par les contrats d’investissement direct16[16]V. l’analyse très approfondie sur cette question de PAHUJA (S.), Decolonising International Law. Development Economic Growth and the Politics of Universality, Cambridge UP, 2011, pp.95-171.. Ce faisant, le droit du développement, basé sur la différence de situation, le principe d’équité et celui de la coopération, a laissé la place à partir des années 80/90 à un droit économique néolibéral applicable à tous basé sur la privatisation, la dérégulation et la libéralisation des marchés intérieurs et internationaux17[17]V. Les analyses nuancées et très instructives de J-M Sorel concernant le cas particulier des marchés financiers dans le cadre européen : SOREL (J-M.), « Les Etats face aux marchés financiers … Continue reading. C’est un droit fondé sur les orientations de droit public de l’OMC (des traités, mais aussi des décisions des panels et de l’ORD) et des plans de la BM et du FMI, fondé sur les orientations jurisprudentielles des arbitrages économiques privés, sur la pratique actuelle de tous les opérateurs en jeu, mais aussi sur la diffusion à la planète de tout un ensemble de droits privés (et non publics) incluant en particulier le droit de propriété, le droit de contracter ou encore la liberté d’entreprendre. En outre la situation actuelle favorise une sorte de « forum shopping » entre les divers droits nationaux les plus favorables à l’application du modèle néolibéral.
On a pu assister ainsi à un revirement spectaculaire opéré par l’Assemblée générale en ce sens à travers ses résolutions post guerre froide18[18]Par exemple, AGNU, Résolution du 21 décembre 1990, A/RES/45/1999. AG de l’ONU, Résolution du 22 décembre 1992, A/RS/47/171 ; AGNU, Résolution du 21 décembre 1990, Esprit d’entreprise, … Continue reading et à un rapprochement jusque là inédit entre les institutions que l’on disait développementalistes comme l’AGNU ou la CNUCED19[19]La conférence de Carthagène en 1992 marque une évolution historique dans la politique de la CNUCED avec l’acceptation des principes libéraux, du fonctionnement du marché, du retrait de … Continue reading et les institutions de Bretton Woods prônant depuis des années une économie libre échangiste de marché. L’esprit d’équité, de traitement différentiel, etc., sont encore juridiquement valides puisque certaines clauses existent toujours ou certains principes sont devenus du droit coutumier, mais ils restent à la marge, sont souvent contournés, en particulier par des accords bilatéraux, ou restent de très faible portée face à l’imposition du même modèle néolibéral dans lequel tout le monde s’est mis à croire avec la fin de la guerre froide, la victoire du modèle libéral, l’échec des systèmes socialistes de planification collective et la réussite des grands Etats émergents.
La dernière mondialisation post-guerre froide a donc indubitablement sonné le glas d’une certaine forme de droit du développement (et du NOEI) en imposant un modèle néolibéral de développement économique. Le remède aux inégalités de la société internationale postcoloniale demeure le développement économique, mais les règles qui y conduisent sont celles du droit international économique existant au détriment d’un droit international spécifique du développement. Dit autrement : le meilleur droit international du développement est le droit économique devenu néolibéral, car désormais c’est uniquement le marché et les règles juridico-économiques en ce sens- qui doit faire le développement20[20]Du reste, il n’y a rien de surprenant en cela mais une logique bien connue qui est à l’oeuvre et qui a une véritable cohérence puisque la pensée néolibérale vise à soustraire l’économie … Continue reading. Doit-on alors penser, comme se demandait Maurice Flory, que « la mondialisation a eu raison d’un droit du développement accusé de se mêler
de ce qui ne regardait pas le droit international ? »21[21]FLORY (M.), « Mondialisation et droit international du développement », RGDIP, 1997/3, p. 628.. La mondialisation signe-telle la fin d’une intervention réformiste du politique et donc d’un droit international plus équitable pour favoriser le développement des pays, peuples et individus pauvres et remédier aux inégalités avec les riches ? Et le principe d’un droit spécifique du développement est-il abandonné ainsi que celui d’une certaine justice sociale internationale ?
L’idée même de ce colloque a semblé dérisoire à beaucoup d’entre nous alors cependant que nous avons une très forte tradition francophone en matière de droit du développement qui a été oubliée et marginalisée et que nous pourrions la remobiliser pour une réflexion critique et renouvelée en ce domaine22[22]En outre, il est vrai que le droit du développement classique a souvent été porté par une idéologie anti-libérale (mais pas systématiquement) si bien qu’il a été plus spécifiquement … Continue reading.
Heureusement la SFDI a relevé le défi lancé par les organisateurs de ce colloque et nous avons ainsi la possibilité de réfléchir à nouveau en ce domaine, à condition de ne pas reprendre intégralement les recettes du passé qui, pour beaucoup, ont échoué, mais en cherchant à garder l’esprit d’équité et de justice sociale qui les animaient et à prendre la mesure de la mutation actuelle du droit du développement. Et il semble important aussi de renvoyer aux pourfendeurs du droit du développement classique les résultats du nouveau modèle néolibéral sur lequel bon nombre de commentateurs, d’économistes et d’institutions commencent à s’interroger eux-mêmes tant les résultats sont paradoxaux, sujets à de multiples controverses et commentés de façon différente.
D’un côté, il est indiscutable que l’ancien « tiers monde » connaît des bouleversements tels qu’ils requièrent aujourd’hui de réviser certains vieux schémas d’analyse. On assiste ainsi à la réussite spectaculaire des grands Etats émergents comme l’Inde, le Brésil, les pays de l’Asie du Sud-Est et surtout la Chine, devenue en 2010 seconde puissance économique mondiale. L’OCDE prédit ainsi un véritable « basculement de la richesse » au profit du Sud dans les années à venir23[23]OCDE, Rapport 2010, Perspectives du développement mondial : le basculement de la richesse, vol. 1.Texte disponible sur www.oecd.org/document/30/0,3343,fr_ 2649_33959_45427806_1_1_1_1,00.html. Ce faisant, non seulement le monde est peut-être en train de devenir postoccidental, mais de plus, le tiers monde a éclaté, s’est divisé et recomposé, certains Etats s’en détachant définitivement. Il est d’ailleurs nécessaire de parler désormais des Nord(s) et des Sud(s) pour désigner des ensembles d’Etats qui sont de plus en plus composites et divisés, et l’analyse comparative, cantonnée naguère aux relations Nord-Sud, intègre aujourd’hui les relations Sud-Sud et Sud-Nord24[24]BRUNEL (S.), Le Sud dans la nouvelle économie mondiale, Paris, PUF, 1995, pp. 245 et ss.. Cette réussite d’anciens Etats du tiers monde est un élément nouveau qui permet de combler leur fossé avec le Nord et change en partie les données du problème, telles que certains les posaient depuis des décennies, car désormais le modèle économique de développement libéral venu du Nord semble réellement porter ses fruits au Sud. Il a permis de rétablir une certaine égalité matérielle de situation entre Etats en élevant le niveau de vie de centaines de millions de personnes et ne pas le reconnaître est quand même étonnant de la part de certains qui font preuve d’un mépris excessif pour les faits25[25]Pour les faits justement, v. par exemple le dossier Pays émergents : vers un nouvel équilibre mondial ?,
Problèmes économiques, avril 2010, n°29993..
Mais, d’un autre côté, il y a la pauvreté, la faim et les inégalités économiques et sociales entre Etats, peuples et individus qui demeurent dans des proportions
effrayantes et inacceptables et qui interdisent de penser, comme le suggérait Robert Zoellick, que le tiers monde ait complètement disparu26[26]Robert Zoellick est l’ancien directeur du Groupe de la Banque mondiale. V. son discours à Washington le 14 avril 2010. Texte disponible sur http://www.lesafriques. … Continue reading. Il y a un tiers monde qui est encore là, marqué par la faim, la misère et la pauvreté et qui dépend complètement de l’aide internationale, un tiers monde que l’on va aussi retrouver au Nord. Les chiffres en témoignent27[27]Souligné par l’OCDE dans son dernier rapport 2014 sur le Panorama de la société et demandant aux Etats d’anticiper les prochaines crises à venir. V. OCDE, Rapport 2014, Panorama de la … Continue reading. Le fait est que la dernière crise dans laquelle nous sommes encore plongés a ébranlé encore plus les espoirs d’une « mondialisation heureuse », car elle a démontré à quel point le système entier était fragile et susceptible, à intervalles répétés, de déboucher sur des tragédies sociales de grande ampleur générant chômage, précarité, faim et
pauvreté, à la fois au Sud, mais aussi au Nord. Tout repose désormais sur la diffusion d’un modèle économique dont on sait qu’il provoque des crises cycliques à répétition qui ont des conséquences sociales désastreuses sur les populations les plus vulnérables28[28]Souligné par l’OCDE dans son dernier rapport 2014 sur le Panorama de la société (op. cit, précité supra note 27) qui demande aux Etats d’anticiper les prochaines crises à venir.. Aussi bien, la réponse est peut-être de se dire que le système juridico-économique néolibéral appliqué à tous qui se veut le substitut de tous les anciens modèles- est en partie efficace économiquement, mais qu’il est et demeurera toujours injuste socialement, car au lieu de ne faire que des gagnants à terme, comme le soutiennent les néolibéraux, il fera toujours des perdants et des gagnants29[29]V. notamment le Rapport de la Banque mondiale, Equité et Développement, 2006. Texte disponible sur http://siteresources.worldbank.org/INTANNREP2K6/ Resources/2838485-1158549322105/WBAR06 French.pdf.. Enfin, il faut montrer que le nouveau droit du
développement durable a émergé pour justement tenter de limiter les effets délétères humains et écologiques que ce modèle économiciste étendu à la planète implique avec lui.
Du reste, si le modèle économique néolibéral existant s’est maintenu, il n’en a pas moins suscité de multiples critiques qui l’ont problématisé. Il semble qu’à divers niveaux, on ait pris conscience des limites de la mondialisation économique, accusée de ne pas « tenir ses promesses », et des difficultés, voire des impasses auxquelles elle conduit inéluctablement, si elle n’est en rien contrôlée et devient l’instrument d’abus sans limites où l’on sacrifie continuellement toute exigence d’équité et toute fin humaine aux logiques d’intérêts et à la loi du marché30[30]V. SUPIOT (A.), L’Esprit de Philadelphie : la justice sociale face au marché total, Paris, Seuil, 2010.. On pourrait citer le nouveau semi-revirement dans les déclarations et résolutions des institutions internationales et de certains acteurs/sujets en faveur d’une «mondialisation équitable » depuis les années 201031[31]Je ne peux reprendre ici toutes les déclarations, rapports et engagements en ce sens au tournant des
années 2010. V. à cette fin, Qu’est-ce qu’une Société internationale juste ?…, op. … Continue reading. Mais, au regard du thème de cette étude, je voudrais seulement montrer qu’il faut regrouper ensemble de nouveaux visages du développement qui ont été renforcés ces dernières années et qui ont suscité de nouveaux principes et pratiques juridiques, lesquels participent d’une même logique visant à dépasser ce modèle économiciste du développement. Ils démontrent également que l’idée d’un droit spécifique du développement, distinct du droit économique, garde une réelle et singulière pertinence.
B. La reconfiguration du droit du développement
Par l’idée de reconfiguration, je veux suggérer le fait qu’il se présente sous la forme d’une combinaison transformée (reconfigurée donc) de principes et pratiques juridiques classiques et de principes et pratiques juridiques nouveaux.
Il ne s’agit donc pas d’un droit du développement radicalement nouveau ni de la continuation du droit du développement classique, mais d’un entrecroisement de
l’ancien et du nouveau modèle juridique. Ce qui, me semble-t-il, est la règle pour toute branche du droit à différentes époques. Ce faisant, il a connu une série de
glissements, de déplacements en faveur d’un nouveau modèle juridique de développement qui devient plus dominant tout en ne continuant pas moins de s’entrecroiser avec l’ancien. Trois éléments de cette reconfiguration me semblent importants à souligner ici. Ils sont la traduction du nouveau modèle de développement qui génère de nouveaux textes, règles et pratiques juridiques s’entrecroisant aux anciens.
1) D’abord, le modèle de développement actuel, prôné par l’ensemble des acteurs/sujets du droit international, est multidimensionnel et intergénérationnel.
Il prend le nom de « développement durable ». C’est un développement multidimensionnel, car il intègre désormais, à côté du droit du développement économique, un droit qui est à la fois humain, social et environnemental32[32]On parle souvent à cet égard de la dimension intragénérationnelle du développement durable dans
la mesure où il s’agit cette fois-ci d’une équité dans l’espace -au même moment- entre … Continue reading. Il est durable, car il veut être intergénérationnel. Il conduit désormais les acteurs du développement à prendre en compte non seulement leurs besoins présents, mais aussi les « besoins des générations futures »33[33]Selon la fameuse formulation du non moins célèbre Rapport Brundtland. Notre avenir à tous,
Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Québec, les Ed du fleuve, 1988, p. 10.. En fait, sous sa forme actuelle, le développement durable constitue en quelque sorte le point d’aboutissement et la synthèse de toutes les évolutions antérieures dans une version critique qui cherche à satisfaire tout à la fois les fins économiques et sociales du développement et le souci de l’environnement et des générations futures. Plus précisément, il désigne une forme de développement respectueuse de l’environnement, du renouvellement des ressources et de leur exploitation rationnelle de manière à préserver la planète pour les générations à venir, mais il intègre également le souci de lutter contre les disparités de richesses et la pauvreté. Ce faisant, il paraît particulièrement intéressant dans la mesure où il tente de répondre sur un plan politique, économique, mais aussi juridique de façon équitable aux deux grands déséquilibres planétaires contemporains34[34] V. en ce sens BOURG (D.), Le développement durable, Encyclopedia universalis, p. 1. Texte disponible sur http://www.universalis.fr/encyclopedie/developpement-durable/: le déséquilibre majeur résultant de la très grande inégalité de répartition de la richesse mondiale et le déséquilibre environnemental dû à la dégradation accélérée de la biosphère. Ces deux déséquilibres sont considérés comme liés au développement économique lui-même et à la rationalité instrumentale contemporaine. C’est le modèle économique du développement, la croissance à tout prix et le besoin de consommation effrénée qui tendent à épuiser les ressources de notre planète, qui provoquent les premières menaces écologiques globales et qui aggravent de ce fait les inégalités sociales à tous les niveaux. Les promoteurs du développement durable ne renient pas pour autant le modèle économique libéral de développement, mais ils cherchent à l’encadrer de telle sorte qu’il ne détruise pas notre environnement et qu’il permette de remédier à la pauvreté dans le monde et aux inégalités sociales. D’où la nature multidimensionnelle de ce nouveau modèle et le fait qu’il englobe tous les autres aspects du développement dont il cherche à formuler une synthèse. Cet aspect multidimensionnel a été renforcé par la suite dans tous les textes relatifs au développement durable comme le Plan d’action adopté en 2002 à l’avant dernier Sommet mondial de la Terre à Johannesburg :
« Ces initiatives faciliteront également l’intégration des trois éléments de base interdépendants du développement durable la croissance économique, le développement social et la protection de l’environnement. La lutte contre la pauvreté, la modification des modes de production et de consommation non viables et la protection de la gestion des ressources naturelles indispensables au développement économique et social sont les objectifs ultimes et les conditions essentielles du développement durable »35[35]Préambule al. 2 : Résolution 2 Plan d’action du sommet mondial sur le développement durable du 4 septembre 2002, A/CONF 199/ 20. On note également l’inflexion en faveur de l’humain et du … Continue reading.
Le développement durable n’a peut-être pas encore lui-même acquis le statut d’un standard juridique. La question reste débattue. Il n’a été que très peu invoqué comme tel dans les contentieux économiques sauf comme objectif dans certaines affaires OMC, mais en revanche il est invoqué dans plus de deux cents conventions avec force contraignante36[36]Sur toutes les conventions où il est mentionné dont deux cent où il est invoqué dans le corps même du texte et non pas dans le préambule. v. infra la contribution de Virginie Barral. Sur … Continue reading. A tout le moins c’est un « concept » qui rassemble tout un ensemble hétéroclite de pratiques, de textes et de règles juridiques, qui sont soit de la soft law (Les déclarations des Sommets de la terre par exemple) soit de la hard law (Par ex, les principes coutumiers issus de ces déclarations ou les dispositions des conventions environnementales, économiques et sociales)37[37]L’emploi de ces termes bien connus renvoie ici, selon moi, à deux formes de juridicité, mais, comme je l’indiquais en introduction, chacun les interprètera suivant sa propre conception du … Continue reading.
Ceci explique les inévitables difficultés d’application qui peuvent se poser en raison des tensions et possibles contradictions existant entre les principes et les règles issus des trois dimensions du développement durable : économique, social et environnemental, et qui révèlent un problème de fond essentiel aujourd’hui quant à savoir si l’une des logiques doit prévaloir sur les autres. Les institutions financières ou commerciales internationales, chargées du volet économique du développement, mettent en oeuvre des règles juridiques d’ordre économique favorisant la libéralisation des échanges et les investissements privés étrangers sur le sol des pays pauvres, mais cette logique purement économique peut entraîner, par exemple, déforestation, accaparement des terres agricoles, désertification, pollution et épuisement des énergies renouvelables et donc s’opposer directement à certaines conventions internationales relatives àl’environnement et aux droits de l’être humain38[38]Pour autant, les tentatives de conciliation ou les interactions sont de plus en plus prises en compte. Une institution aussi importante que la BM, par exemple, est consciente de la question du … Continue reading. La logique environnementale peut amener à créer juridiquement de vastes réserves naturelles ou à limiter le braconnage de certaines espèces protégées, mais au détriment parfois des droits sociaux de communautés traditionnelles, de peuples autochtones ou de milieux ruraux qui peuvent être privés de leur cadre naturel de vie, de subsistance et de société, bafouant ainsi les droits fondamentaux élémentaires de certaines populations39[39]KEMPF (H.), La balaine qui cache la forêt. Enquêtes sur les pièges de l’écologie, Paris, La découverte, 1994, pp. 27 et ss. Au point de vue juridique on observe que la tension entre protection … Continue reading. La logique humaine et sociale de certaines règles relatives au droit du travail ou à certains droits de l’être humain peut s’imposer dans le cadre du développement humain et social, mais parfois sans considération des conditions culturelle et environnementale des populations tandis qu’elle s’accompagne très souvent de la critique de la logique financière libérale des investissements qui font vivre de nombreuses personnes. Du reste, on voit ressurgir à cet égard l’opposition entre le Nord et le Sud puisque leurs intérêts divergent face aux différentes dimensions du développement durable et à la tension possible entre ces différents régimes juridiques. Les Etats pauvres sont avant tout soucieux de préserver leur croissance économique pour pouvoir se développer face à des Etats riches pour qui l’environnement et le social deviennent prioritaires. Si bien que, comme le résume Sylvie Brunel de façon lapidaire, le problème est que « les riches mettent l’accent sur le durable, mais les pauvres continuent à penser développement »40[40]BRUNEL, (S.), A qui profite le développement durable ?, Paris, Larousse, 2008, p. 9. V. de la même façon LE PRESTRE (P.), Protection de l’environnement et relations internationales. Les défis … Continue reading. En témoignent de façon exemplaire les dissensions à ce sujet sur le climat qui montrent les préoccupations des uns et des autres, mais qui pointent également un nouveau problème : le fait que certains grands Etats dits encore « émergents » tentent de profiter au maximum de ce simple statut pour ne pas acquitter les obligations juridiques des pays riches en matière climatique41[41]On ne revient pas sur le détail de ces questions, développées ailleurs à propos des négociations puis des révisions du Protocole de Kyoto (11 décembre 1997, EV 2005) joint ultérieurement à … Continue reading.
2) Ensuite, le nouveau modèle de développement (et le droit qui l’accompagne) concerne non seulement les Etats (droit du développement classique), mais aussi les individus, les groupes et tous les acteurs/sujets de la société mondiale42[42]La diffusion du principe à tous les acteurs institutionnels et aux acteurs économiques privés est analysée par FRENCH (D.), International Law and Policy of Sustainable Development, Manchester UP, … Continue reading. On ne prendra ici que l’exemple le plus frappant de la prise en compte de l’être humain par le nouveau droit international du développement.
Corrélativement à l’introduction par le PNUD de la notion de développement humain en 199043[43]Tout commence avec le PNUD qui, en 1990, lance un « indicateur du développement humain » (IDH). Celui-ci vise à évaluer l’état de développement d’un Etat, non seulement en termes de … Continue reading, la question des droits de l’être humain s’est progressivement imposée en droit du développement, car la conception occidentale de l’être humain comme être libre et volontaire est au coeur de la notion de développement humain, et se retrouve également au fondement de la culture juridique des droits de l’être humain diffusée dans la plupart des textes internationaux44[44]J’utilise délibérément le terme de « droits de l’être humain » de manière générale car il n’est pas genré, mais je continue à employer celui de « droits de l’homme » quand il … Continue reading. Aussi bien ils vont naturellement converger puisque parmi les opportunités essentielles, qui selon le principe du développement humain, devraient s’offrir aux gens, on trouve les droits et libertés élémentaires, civils, économiques et sociaux qui permettent concrètement à un individu de faire ses choix. Dans le rapport du PNUD de1999, il est ainsi indiqué que le développement humain
suppose nécessairement le respect des droits de l’être humain :
« Le développement humain s’inscrit dans une vision commune à celle des droits de l’homme. Le but est la liberté humaine. Dans la poursuite des capacités et dans la
concrétisation des droits, cette liberté est d’importance cruciale. Les personnes doivent être libres d’exercer leurs choix et de participer à la prise de décisions qui
affectent leurs vies. Le développement humain et les droits de l’homme se renforcent mutuellement, en contribuant à assurer le bien-être et la dignité de toutes les
personnes, en développant l’estime de soi et le respect des autres»45[45]Texte disponible sur http://hdr.undp.org/en/media/hdr_1999_fr_contenu.pdf .
Et progressivement va se dessiner un mouvement beaucoup plus vaste de convergence, qui dépasse le seul développement humain, dès lors que de nombreux discours et textes internationaux, les actes des organisations internationales, les résolutions de l’Assemblée générale, les déclarations des Etats, les conventions bilatérales ou multilatérales d’aide au développement vont associer le développement aux droits de l’être humain. Il en résulte une nouvelle orientation du droit du développement qui permet à l’ONU de renouer avec les objectifs originaires de la Charte. Dans l’article 1 § 3, les rédacteurs de la Charte avaient en effet regroupé ensemble le développement et les droits de l’être humain comme buts principaux des Nations Unies, presque par hasard semble-til46[46]DE FROUVILLE (O.), « Commentaire Article 1, paragraphe 3 », in COT (J-P.), PELLET (A.) et FORTEAU(M.) (dir.), La Charte des Nations-Unies. Commentaire article par article, Paris, Economica, … Continue reading, mais ils avaient été par la suite disjoints pour être confiés à des organes distincts. Débute également à la même époque des années 1990, au sein des
Nations Unies, tout un travail de juridicisation plus poussée de droits fondamentaux en matière de développement comme le droit à une alimentation adéquate et accessible ou le droit à l’eau47[47]La première opération de « subjectivisation » emblématique en ce domaine du droit de en droit à est bien sur le fameux « droit au développement » reconnu par l’AGNU dans la Déclaration … Continue reading. On subjectivise ainsi sous la forme de droits subjectifs des êtres humains des domaines du droit international qui jusque-là ne concernaient que les Etats sous la forme, par exemple, du droit de l’eau et non du droit à l’eau pour les individus ; ou alors qui n’étaient introduits dans le discours juridique internationaliste que sous la qualification de « besoins » et non pas de « droits ». Enfin, même les institutions internationales
comme la BM ou le FMI qui, de par leurs statuts, ont toujours été cantonnées à une soi-disant neutralité48[48]L’idée d’une conditionnalité de l’intervention des institutions financières internationales avait été expressément rejetée lors des travaux préparatoires de Bretton Woods. L’article V … Continue reading, sont désormais elles-mêmes engagées dans la défense des droits de l’être humain de façon implicite ou explicite à travers, notamment, la notion de « bonne gouvernance » qui devient progressivement une « bonne gouvernance démocratique »49[49]V. sur cette question BOISSON DE CHAZOURNES (L.), « Banque mondiale et droit social, les termes d’un partenariat » in DE SENARCLENS (P.) (dir.), Maîtriser la mondialisation : La régulation … Continue reading.
Il se produit par là même une fois de plus une série de déplacements au sein de l’ancien droit du développement qui le reconfigure également. Là où le droit international classique du développement (et le NOEI) était entièrement axé autour du cadre classique du droit international et du respect de la liberté souveraine de l’Etat, là où il prônait le principe de neutralité à l’égard du régime politique des Etats en développement et leur liberté souveraine quant au choix du modèle de développement, le droit actuel du développement impose aux Etats souverains un modèle particulier de développement à atteindre, non neutre, qui est fondé sur les droits fondamentaux de l’être humain et le respect de la personne humaine50[50]Sachant que l’approche par les droits humains se différencie et parfois s’oppose à celle par les besoins fondamentaux. V. MEYER-BISCH (P.), « Les violations des droits culturels, facteur … Continue reading. Alors que le droit international classique du développement était entièrement axé sur les choix libres de l’Etat souverain (Par ex. Art.1 du NOEI51[51]Résolution 3281 AGNU du 12 décembre 1974 sur la Charte des droits et devoirs économiques des Etats. Je ne peux pas revenir ici sur ce qui a différencié et rapproché le droit du développement … Continue reading), le droit international nouveau du développement est axé sur les choix libres de l’individu. Aussi les droits classique et nouveau du développement véhiculent-ils encore aujourd’hui des règles et pratiques juridiques qui reposent sur des conceptions profondément différentes quant au rôle de l’Etat et la nature de la souveraineté, laquelle devient fonctionnelle dans le cadre du nouveau modèle car subordonnée à la réalisation des fins humaines du développement.
Mais il en résulte plus précisément aussi que les droits de l’être humain ont tendance à être perçus comme étant à la fois le moyen et la fin du développement52[52]Où l’on retrouve l’influence des célèbres travaux d’Amartya Sen, y compris sur la banque mondiale, via l’ancien président de la Banque, James Wolfensohn. V. SEN (A.), Un nouveau modèle … Continue reading. D’un côté, ils sont considérés comme devant contribuer de façon significative au développement économique du pays en renforçant les libres choix et les capacités d’initiative des personnes – perçues comme le
véritable moteur du développement en tant qu’« agents du développement » – si bien que le développement humain et les droits de l’être humain deviennent
une condition nécessaire du développement économique ; et d’un autre côté, ils sont considérés comme devant être l’objectif ultime du nouveau modèle de développement ordonné autour de l’être humain et non plus de l’Etat53[53]V. en ce sens l’analyse faite par Kiara NERI infra dans cet ouvrage.. Ce qui bien entendu pose autant de problèmes que de solutions, car il en découle tout un ensemble de contraintes et de conditions, venant des acteurs/sujets les plus influents, qui sont particulièrement intrusives pour les Etats les plus pauvres54[54]Le PNUD a d’ailleurs critiqué le principe de conditionnalité in PNUD, Rapport mondial sur ledéveloppement humain, Droits de l’homme et développement humain, 2000, en préférant la … Continue reading
Et il se pose la question plus générale de savoir ce que peut être une société mondiale où les droits de l’être humain deviendraient le but ultime du développement55[55]De façon similaire au projet du Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali en 1993 d’en faire la « norme politique ultime de toutes les sociétés ». V BOUTROS-GHALI (B.), Discours … Continue reading.
3) Enfin, le droit du développement est devenu à la fois global et transversal au Nord et au Sud, à l’Est et à l’Ouest. Et selon la « fameuse échelle du développement » qui classe tous les Etats (et donc leurs populations et leursressortissants) de la planète suivant leur niveau de développement, certains de ceux qui étaient en bas de cette échelle, donc « sous-développés » ou « en développement », progressent très nettement vers le haut alors qu’inversement certains de ceux qui étaient en haut de l’échelle et donc «développés » régressent vers le bas. Je ne m’attarderai pas sur ce dernier point, car j’y reviendrai plus bas56[56]V. cependant OCDE, Rapport 2014, Panorama de la société 2014. Accessible sur http://www.cnle.gouv.fr/L-OCDE-publie-le-rapport-Panorama.html. Il montre la détérioration économique, financière et … Continue reading.
En tout état de cause, ces trois évolutions me semblent majeures aujourd’hui et renouvellent complètement l’approche de l’ancien droit du développement qui
prévalait auparavant, ce qui ne le fait pas disparaître, on le disait, mais qui le reconfigure complètement. Aujourd’hui les logiques humaine et environnementale, son aspect transversal aussi, lui donnent un autre visage, maisne change pas l’objectif d’équité qui était revendiqué à travers lui.
Toutefois la fin de la guerre froide a fait advenir un autre type de revendications de justice sociale au plan mondial, fondées sur le respect de la dignité de chacun, mais aussi de l’identité et la mémoire qui sont venues parfoissupplanter le droit du développement. Ce droit international de la reconnaissance répond à un phénomène social mondial et s’entrecroise désormais inéluctablement à lui.
III. L’ÉMERGENCE
DU DROIT INTERNATIONAL DE LA RECONNAISSANCE
Par droit international de la reconnaissance on regroupe tout un ensemble de pratiques juridiques de reconnaissance au niveau international que l’on n’a pas jusqu’à présent théorisées comme telles ni regroupées ensemble. Je précise d’emblée que cette notion de « reconnaissance » ne se confond pas avec la fameuse «reconnaissance » de situations comme acte unilatéral de droit international qui vise des situations bien connues comme celle de la « reconnaissance d’Etat », laquelle rend opposable juridiquement cette situation à l’égard de ce celui qui l’effectue. Or ici, il ne s’agit pas de cela. Je reprends et transpose en fait au plan juridique international une signification désormais très connue de la « reconnaissance » en philosophie, en sciences politiques et sociales, qui vise plus précisément à reconnaître (et donc par là même respecter) des situations de discrimination, de souffrance ou d’humiliation afin de redonner aux personnes, groupes, peuples ou Etats qui les subissent, à la fois le sentiment du respect de leur égale dignité, mais aussi de leur différence culturelle ou de genre57[57]V. par exemple mais avec des approches différentes que je ne peux exposer ici : CAILLE (A.) (dir.), La quête de la reconnaissance. Nouveau phénomène social total, Paris, La découverte, 2007 ; … Continue reading. Et il peut s’agir, certes, d’actes unilatéraux de reconnaissance étatique58[58]Par ex, la déclaration, désormais célèbre, du Premier ministre australien en 1992 sur la « reconnaissance » des « crimes » commis à l’égard des Aborigènes. Cité in PIQUET (M.), … Continue reading, mais aussi d’actes de reconnaissance formulés soit dans des conventions59[59]A ce jour, hormis les nombreux accords internes passés par les Etats avec leurs minorités autochtones qui sont très intéressants à analyser, on peut citer le Traité d’amitié entre la Libye … Continue reading, soit par la déclaration de droits, soit par des actions de réparation pour les crimes historiques commis ou encore par le biais d’une décision de justice. C’est ce qu’illustrent, par exemple, l’adoption le 20 octobre 2005 de la Convention UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, la réapparition de la protection spécifique des droits des minorités60[60]Une reconnaissance par une Résolution de l’AGNU du 18 décembre 1992 (AG/47/135) : Déclaration sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et … Continue reading l’émergence des droits des peuples autochtones61 ou encore les questions juridiques de réparation liées à des crimes historiques comme l’illustre la dernière décision de la Haute Cour de Londres du 5 octobre 2012 dans l’affaire des MauMau (Kikuyus)62[61]Elle accorde aux quatre plaignants le droit à poursuivre leur action en vue d’obtenir réparation pour les crimes commis par les Britanniques au Kenya dans les années 50. A la suite de quoi le … Continue reading.
Cette irruption tous azimuts des questions de reconnaissance crée un problème nouveau pour le droit international dès lors qu’on n’en traitait jusqu’à présent que de façon très subsidiaire et sans lui accorder de réel intérêt -quand bien même, cependant, certains textes d’après-guerre ont procédé, sans la formuler comme telle, à une première étape fondamentale de reconnaissance juridique des Etats décolonisés, puis des individus, comme sujets de droit à égalité de droits et donc à égale dignité63[62]C’est Axel Honneth qui a le plus approfondi cette modalité de la reconnaissance de l’autre par le droit en le reconnaissant comme sujet de droit égal in HONNETH (A.), La lutte pour la … Continue reading. La seconde étape ne viendra qu’ensuite avec la reconnaissance cette fois-ci de la différence de culture, d’identité et de genre qui va se rajouter à la reconnaissance de l’égale dignité64[63]Cette réflexion a été développée en France notamment par TOURAINE (A.), Pourrons-nous vivre ensemble ? Vivre égaux et différents, Paris, Fayard, 1997 et MESURE (S.) et RENAUT (A.), Alter ego. … Continue reading. Que le besoin de reconnaissance et son traitement juridique n’émergent réellement avec force qu’à partir des années 1990 ne saurait au demeurant nullement étonner, car ce sont les circonstances particulières du contexte post-guerre froide qui ont suscité l’irruption sur la scène internationale des questions liées à la reconnaissance et le début d’une nouvelle ère de plus en plus dominée par ces questions. Mais ce qui m’intéresse aujourd’hui n’est pas de revenir sur le contenu, l’origine philosophique et l’analyse des textes juridiques relatifs à la reconnaissance qui forment cette nouvelle « branche juridique »,65[64]V. JOUANNET (E.), Qu’est-ce qu’une société internationale juste ?, op. cit, pp. 167 et ss, et « Le droit international de la reconnaissance », RGDIP, 2012-4, pp. 769-800. mais de comprendre la signification, les relations et les implications de ce droit international de la reconnaissance par rapport au droit du développement.
A. Contexte historique
A cette fin, il est nécessaire de revenir brièvement en arrière pour saisir pourquoi la question de respect de la dignité, mais aussi des identités culturelles s’est imposée à un certain moment au détriment des questions de développement et de redistribution économique. Le droit relatif à la reconnaissance est nouveau dans la mesure où il englobe la nécessité de reconnaître en droit international, non seulement la dignité égale de chacun, mais aussi l’importance de la culture, de la diversité et des identités afin de respecter ce qui donne sens à la vie et à l’histoire des individus, des femmes, des groupes et des peuples ; et de mettre fin aux innombrables dénis de reconnaissance qui frappent ou ont frappé ces derniers66[65]Et on peut objecter à certains commentateurs que la reconnaissance des identités multiples permet
en outre de consolider la reconnaissance de l’égale dignité des êtres humains, et non pas de … Continue reading.
Autrement dit, il permet donc de prendre en charge des exigences formulées en termes symbolique, humaniste et culturel, et non plus en termes d’intérêts matériels
rationnellement définis comme pour l’essentiel du droit relatif au développement classique. Il suggère par là même qu’une importante redistribution des exigences
de justice sociale s’est ainsi opérée au plan mondial au cours des vingt dernières années67[66]CAILLE (A.), « Introduction », CAILLE (A.) (dir.), La quête de la reconnaissance. Nouveau phénomène social total, op. cit, p. 5.. Et on constate qu’il s’est développé spécialement pour cette raison, car il a répondu à des exigences qui avaient été ignorées jusque-là au profit des besoins en matière de développement. Durant la guerre froide, ce sont les questions économiques qui ont focalisé l’attention des acteurs/sujets politiques internationaux et cristallisé leurs oppositions, à la fois entre l’Est et l’Ouest, le Nord et le Sud, entraînant les controverses relatives au NOEI et au droit du développement classique –ainsi qu’aux droits économiques et sociaux versus les droits civils et politiques. Or, après la guerre froide, dans le contexte de la mondialisation et du libéralisme triomphant, l’émergence des nouvelles attentes liées à la dignité, à l’identité et la culture sont venues se superposer à celles concernant le développement. Comme le souligne Fraser, le nouvel imaginaire basé sur les notions d’identité, de différence et de domination culturelle a pris le
pas sur le vieil imaginaire socialiste, profondément discrédité après 1989, et sur tous les schémas d’explication liés à l’exploitation économique et l’oppression68[67]FRASER (N.), Qu’est-ce que la justice sociale ?… op. cit., p. 14..
Et les luttes pour la redistribution ont cédé la place à des luttes pour la reconnaissance, y compris au plan international. Ce sont surtout le culturel et l’identitaire qui sont ainsi devenus les clefs principales d’explication des conflits post-guerre froide et des frustrations collectives à l’échelle de la planète, de même que la question des droits de l’être humain a généré de nombreuses interventions armées ou des revendications révolutionnaires à l’autodétermination interne. Cette tendance a été favorisée, en outre, par le désenchantement général suscité par l’échec des politiques de développement, constaté à la même époque, le fait que l’espérance liée aux Décennies du développement ait fini par sombrer dans la désillusion et que, par là même, on s’en remette principalement au jeu néolibéral des règles du droit international économique pour régler les questions de développement. Les questions relatives au respect de la dignité, à la culture et l’identité ont pris alors une place accrue au plan international qui a été au fond proportionnelle à l’échec du droit du développement classique, des anciennes solutions développementalistes adoptées par des élites « clientélistes » du Sud69[68]Selon le mot de Bertrand Badie in BADIE (B.), L’Etat importé. Essai sur l’occidentalisation de l’ordre politique, Paris, Fayard, 1992. et au désintérêt dont ils ont fait l’objet.
Mais l’importance accordée notamment au culturel a fini à son tour par être remise en cause. Si la question du développement économique et social des Etats
du « Sud » a évincé pendant longtemps la lutte pour la reconnaissance identitaire, historique et culturelle, inversement, la mise en avant des questions culturelles, de dignité ou d’estime de soi peut être utilisée pour ne plus traiter réellement des questions économiques et sociales ou pour imposer de véritables « dictatures de l’identité »70[69] BESSIS (S.), L’Occident et les autres. Histoire d’une suprématie, Paris, La découverte, 2013, p. 314.qui refusent toute idée de développement économique et social. L’un des risques liés à l’émergence des pratiques juridiques de la reconnaissance est le fait de vouloir faire prédominer des demandes de reconnaissance symbolique aux dépens des processus de développement économique et social et de la défense d’un ordre international équitable. On est prêt à accorder du symbolique, à reconnaître ou réparer les dénis de reconnaissance des souffrances, des humiliations passées ou présentes, mais sans s’intéresser aux causes des souffrances et des humiliations qui sont bien souvent liées à des causes économiques et sociales et donc qui demandent aussi des remèdes liés à la justice économique et sociale.
C’est la raison pour laquelle on a surtout pris conscience ces dernières années que l’on ne pouvait réduire l’analyse des situations existantes à l’un ou l’autre de ces éléments d’explication, mais qu’ils étaient au contraire inséparables et devaient donc être abordés ensemble ; D’où également la prise en compte des relations réciproques entre droit du développement et droit de la reconnaissance.
B. Entrecroisement des situations et des demandes
Une étude concrète des différentes situations montre ainsi que ceux qui sont socialement et économiquement défavorisés sont aussi les plus stigmatisés humainement et culturellement et donc que les injustices socio-économiques sont liées aux injustices d’ordre humaniste, identitaire et culturel. La situation des minorités, celle des peuples autochtones et celle des 48 pays dits « les moins avancés », c’est-à-dire les plus pauvres de la planète, dont 33 sont africains, sont l’exemple type de cet entrecroisement de situations où l’état de pauvreté ou d’extrême pauvreté de ces groupes et de ces Etats se double d’une profonde marginalisation sociale et culturelle71[70]V. par exemple la Recommandation générale n°23, 1993, du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) sur les populations autochtones in Rapport annuel du CERD, doc. A/52/18 … Continue reading. Et, au-delà de la situation des groupes et des peuples, il en va de même de certaines catégories de personnes, en particulier les femmes qui subissent les formes les plus nombreuses et les plus constantes de domination économique et de discrimination culturelle72[71]V. par exemple NUSSBAUM (M. C.), Femmes et développement humain. L’approche des capabilités, Paris, Ed. Fourque, 2000 et CHATTERJEE (P.) et JEGANATHAN (P.) (dir.), Community, Gender and Violence, … Continue reading. Bref, la superposition de ces différentes situations montre que les facteurs économiques et culturels agissent de façon combinée et se renforcent mutuellement de façon encore plus préjudiciable pour les Etats, les groupes ou les personnes.
Or, si les situations économiques et culturelles sont la plupart du temps enchevêtrées, il n’est dès lors pas étonnant de constater que les demandes juridiques actuelles sont elles-mêmes très souvent liées –et d’ailleurs l’ont toujours été même si on ne formulait pas ce constat de cette façon, car on occultait les questions de reconnaissance73[72]L’usage du terme « tiers monde » traduisait à lui seul cet enchevêtrement car il désignait un ensemble d’Etats à la fois exploités économiquement et stigmatisés culturellement au regard … Continue reading. Le souhait de voir reconnaître à la fois son égale dignité et son identité culturelle, et de mettre fin aux dénis de reconnaissance dont on fait l’objet est intimement lié au souhait de vivre mieux.
C’est ainsi que les demandes de reconnaissance ne sont pas seulement des demandes de reconnaissance d’un droit d’égale dignité ou d’un droit à la différence, mais aussi des aspirations sociales à plus d’égalité concrète et à une amélioration du niveau de vie. La conférence de Durban (2001) l’a amplement montré au plan mondial s’agissant des Etats et des peuples. La dénonciation de l’inégalité de condition socio-économique entre Etats et du système économique mondial était constamment associée au sentiment de marginalisation et d’exclusion sociale et culturelle. Parmi eux, les Etats et peuples africains font partie des groupes socio-politiques qui connaissent à la fois les plus graves difficultés économiques et financières et les plus forts sentiments de dévalorisation74[73]V. TEVOEDJRE (A.), Vaincre l’humiliation. Rapport de la Commission indépendante sur l’Afrique et les défis du troisième millénaire, Paris, Tumde, 2002, pp. 86 et ss. Cela étant, la question … Continue reading. Et ainsi en va-t-il des revendications des minorités, des peuplesautochtones ou encore des femmes sans que l’on puisse ici développer l’analyse de leurs revendications juridiques souvent via l’aide des ONG , mais dont il n’est pas difficile de comprendre qu’elles allient constamment des aspirations au mieux-être matériel et au respect de leur égale dignité et de leurs identités culturelles ou de genre.
IV. LE DROIT DE LA RECONNAISSANCE
ET LE DROIT DU DÉVELOPPEMENT
D’où, par ailleurs, la nécessité de comprendre les effets dédoublés du droit international de la reconnaissance et du droit international du développement et de s’interroger sur leur possible articulation.
En premier lieu, on constate que certaines règles ou pratiques juridiques ont elles-mêmes un double effet en matière de développement et de reconnaissance.
Ainsi en va-t-il, par exemple, de toutes les règles procédurales qui pourraient rétablir une équité de négociation, d’information et de décision entre Etats au
profit des plus défavorisés au sein des institutions économiques et financières internationales. Non seulement de telles règles permettraient de négocier à armes
plus égales des règles de fond qui leur seraient plus favorables en matière de développement, mais elles contribueraient aussi à revaloriser leur identité d’Etat
marginalisé. De même, le principe d’une aide au développement, souvent reconnu juridiquement par des actes unilatéraux d’engagement ou par le biais de conventions, peut être une forme de reconnaissance si elle a un sens symbolique et correspond, par exemple, à l’acceptation par l’Etat de sa responsabilité passée dans les crimes historiques commis à l’encontre d’un autre. De leur côté, les règles relatives à la préservation et la promotion des cultures peuvent contribuer à combler les inégalités matérielles et sociales en raison du rôle extrêmement positif et valorisant que joue la culture, en raison aussi des protections juridiques que ces règles peuvent offrir à des Etats ou à des groupes qui sont autrement dominés ou marginalisés économiquement. Un autre exemple est celui de la préservation des droits des peuples autochtones sur leurs terres, car ces droits permettent à la fois de respecter leur identité culturelle (la relation à la terre qui est un élément intrinsèque de leur identité) et en même temps de préserver leurs ressources économiques afin d’assurer leur subsistance75[74]V. par exemple à propos des régimes forestiers, la réunion de Rome du 15 juillet 2011 sous l’égide de la FAO à propos des régimes forestiers. Texte disponible sur … Continue reading.
A vrai dire, l’effet peut être tout aussi bien inverse. Des règles préservant les droits culturels des minorités ou des autochtones et qui imposent des mesures positives relatives à la création d’écoles, de centres linguistiques ou de médias peuvent être perçues comme créant des privilèges économiques et sociaux indus aux yeux de la population majoritaire et générer ressentiment et sentiment d’injustice. C’est ainsi qu’au titre de la réparation des torts commis à l’égard des Maoris, la Nouvelle-Zélande leur a accordé une aide sociale plus généreuse qu’au reste de la population, ce qui suscite un très fort sentiment d’injustice de la part de ceux qui sont démunis économiquement et ce qui, de plus, exacerbe leur racisme76[75]ETMEDAD, BOUDA, Crimes et réparations. L’Occident face à son passé colonial, Paris,
A. Versailles, 2008, p. 130..
A l’opposé, des règles relatives au développement peuvent porter atteinte à la dignité des peuples et des personnes, aux cultures ou blesser des identités. Par exemple, les pratiques juridiques unilatérales ou conventionnelles du droit du développement, qui imposent des conditions sélectives et arbitraires pour pouvoir bénéficier d’une aide économique, sont le plus souvent perçues comme stigmatisantes par celui qui est contraint de les accepter. On citera à cet égard le système européen des préférences généralisées qui sous sa forme SGP+ semble totalement intrusif, contreproductif et absurde77[76]V. notamment de façon très éclairante GHÉRARI (H.), « Tendances récentes des préférences commerciales », Mélanges Madjid Benchikh, Paris, Pedone, 2010, pp. 465 et ss. et VIDCAR (C.), « Le … Continue reading. Les règles du développement peuvent donc ici nuire à la reconnaissance et entretenir un sentiment de contraintes imposées qui est dévalorisant quand le système va trop loin.
Du reste, la question de la reconnaissance amène à une critique plus radicale encore de la notion de développement. L’ensemble du droit du développement peut être considéré comme particulièrement stigmatisant en soi par les distinctions qu’il pose entre Etats (et donc entre peuples, populations, êtres humains), qui s’inscrivent dans la continuation des dichotomies de la période coloniale. Il est basé entièrement sur une structure d’évaluation culturelle de la société mondiale que subissent les Etats déclarés « en développement » ou « moins avancés » quand bien même ces qualificatifs tentent d’éviter la disqualification des dénominations anciennes d’Etats « sous-développés » ou « attardés ». Il n’y qu’à voir a contrario le sentiment de fierté que retrouvent ceux que l’on définit désormais comme « émergents » (mais pas encore « développés »). La profonde blessure coloniale est ainsi le moteur d’un désir de revanche et il est certain qu’une fois atteint, le développement économique et
social des Etats est cette fois-ci l’instrument le plus efficace de revalorisation de leur identité par la fin de leur sentiment passé d’infériorité78[77]V. MARCHESIN (P.), « La revanche pour le Sud », Le monde, 30 oct. 2010, p. 19.. Ainsi la déclaration du président brésilien Lula au lendemain du choix de son pays pour l’organisation des jeux en 2016 :
« Comme nous avons été colonisés, nous avions une manie : être petit. Aujourd’hui, c’est fini ! C’est notre heure. »79[78]Cité par MARCHESIN (P.), loc. cit. C’est pourquoi, loin de remettre en cause la structure culturelle d’évaluation sous-jacente au droit du développement, les pays émergents s’y adaptent d’autant mieux qu’ils en retirent cette fois-ci le sentiment de valorisation de celui qui arrive en haut de l’échelle. Et bien qu’il s’agisse d’une structure d’évaluation culturelle symboliquement dévalorisante, elle a donc de beaux jours devant elle et va continuer de produire des effets stigmatisants pour les uns ou les autres suivant que les Etats montent ou descendent l’échelle du développement. Elle pose un dilemme relatif au rapport développement/reconnaissance qui est celui de l’ensemble du droit relatif au développement, car il est voulu pour gommer les différenciations matérielles entre Etats, mais en tenant compte concrètement d’une différenciation à laquelle est attaché un sens stigmatisant80[79]BESSIS (S.), L’Occident et les autres. Histoire d’une suprématie, op. cit, p. 121.V. NAHAVANDI (F.), Du développement à la globalisation. Histoire d’une stigmatisation, Bruxelles, Bruylant, … Continue reading. La solution ne peut être qu’un système équitable et durable qui brise toute idée d’échelle comparative
dévalorisante, qui resitue tous les Etats sur un plan d’équité et redonne ainsi au droit du développement son effectivité au service du rétablissement d’une égale dignité
entre Etats, entre peuples et entre les êtres humains. Le droit international de la reconnaissance fondé sur le respect de l’Autre peut nous amener ainsi à reformuler
le « droit du développement » en véritable « droit social »,81[80]Le terme introduit par Alain Pellet était celui de « droit social des Nations » (in PELLET (A.), Le droit international du développement, op. cit, p. 4.) Je préfère utiliser ici le terme … Continue reading car ce droit social ne contient pas inclus en lui-même la structure culturelle discriminatoire du «développement » ; et donc permet de tenter d’en finir aussi avec le classement sans fin des pays suivant leur niveau de « développement ». Toutefois, cette dernière idée qui me semble absolument essentielle n’en demeure pas moins utopique pour l’instant au regard de la réalité.
En second lieu, la question est alors pour l’instant, à tout le moins, de penser à une articulation qui soit réfléchie et efficiente des règles et des pratiques relatives à la reconnaissance et au développement. Si les situations et les demandes sont enchevêtrées, si les enjeux sont intimement liés, les règles et pratiques juridiques doivent être conçues de manière à agir conjointement ou de façon complémentaire, c’est-à-dire qu’il faut agir en même temps sur le modèle de développement et sur les modèles culturels de représentation des individus, des femmes, des groupes et des Etats afin d’affronter ces questions dans leur globalité.
A cet égard, on peut noter une tendance intéressante qui vise, au plan du droit international, à tenter d’associer plus étroitement culture et développement82[81]Bien que ce soit une idée déjà ancienne (V. PELLET (A.) et SOREL (J-M.) (dir.), Le droit international du développement social et culturel, Paris, L’Hermés, 1997) elle ne commence vraiment à … Continue reading et donc à agencer des préoccupations auxquelles les droits du développement et de la reconnaissance répondent normalement de façon séparée. Je ne prendrai ici qu’un exemple, celui des droits culturels. Ceux-ci ont été rattachés explicitement au nouveau visage du développement sous son aspect « humain ». En 2004, un rapport du PNUD insiste ainsi pour montrer que la liberté culturelle est un élément décisif du développement humain83[82]Rapport PNUD 2004, La liberté culturelle dans un monde diversifié. Texte disponible sur http://hdr.undp.org/en/media/hdr04_fr_complete.pdf. L’idée est que les êtres humains ne
pourront connaître de véritable développement, et donc réellement choisir les fins qui les épanouissent, que s’ils ont la possibilité de vivre pleinement leurs préférences culturelles et celles de leurs communautés. Comme l’a parfaitement exposé Patrice Meyer-Bisch, la violation des droits culturels est un facteur aggravant de pauvreté alors qu’inversement ils peuvent aider à la combattre et à favoriser le développement humain des personnes84[83]MEYER-BISCH (P.), « Les violations des droits culturels, facteur d’appauvrissement durable : pour une observation des pauvretés culturelles », in DECAUX (E.) et YOTOPOULO-MARANGOPOULOS (A.) … Continue reading. Les droits culturels peuvent en effet améliorer les « capabilités » des individus et leurs possibilités de pouvoir faire les choix de vie qui les épanouissent. Ils peuvent être un « facteur d’intégration » irremplaçable alors qu’en revanche, le déni de ces droits appauvrit les individus, réduit leur choix de vie et renforce leur état de pauvreté ou d’exclusion économique et sociale. Et bien évidemment, ce qui vaut pour les droits culturels vaut également pour les droits des femmes, les droits des homosexuels, les droits des migrants, les droits des minorités et des peuples autochtones. Ils sont indispensables à l’amélioration de la situation économique et sociale des catégories de personnes vulnérables et stigmatisées de la même façon que des droits économiques et sociaux sont le corollaire nécessaire des droits spécifiques garantissant la préservation de leur identité, de leur genre et de leur culture.
On voit donc que se joue ici, sur un point particulièrement crucial, la possibilité réaliste d’agencer ponctuellement les réponses juridiques qui sont données au plan international aux deux types d’injustices les plus caractéristiques de notre société mondiale actuelle afin que ces réponses puissent se renforcer l’une l’autre sans s’entraver mutuellement ; et il faudrait dès lors développer cette analyse beaucoup plus avant que je ne le fais ici pour repérer et dégager avec précision d’autres points d’agencement possibles entre les deux droits.
Du reste, tout ne serait pas dit pour autant, car encore faut-il comprendre que cette question ouvre sur un problème juridique de fond beaucoup plus général qui déborde la seule question de l’articulation du droit de la reconnaissance et du droit du développement, comprendre : la reconnaissance de l’égale dignité des
personnes, des cultures, des orientations sexuelles et la revalorisation des identités blessées doit s’accompagner de la réinsertion des pays, des peuples et
des êtres humains stigmatisés dans une économie mondiale dont les règles du jeu sont équitables et n’en neutralisent pas les effets. Ce qui nous ramène à l’ordre
juridico-économique existant.
V. LES RELATIONS AVEC LE DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE
Le droit international économique demeure en effet la pièce décisive de l’ensemble de toutes ces pratiques juridiques. On a montré ailleurs comment les règles néolibérales du droit international économique pouvaient biaiser l’ensemble du droit international classique et nouveau relatif au développement, faisant souvent ressembler celui-ci à un discours « enchanté » qui n’illusionne plus personne et crée alors inversement du « désenchantement »85[84]V. JOUANNET (E.), Qu’est-ce qu’une société internationale juste ?…, op. cit, spec. pp. 110 et ss.. Il peut en être exactement de même pour les règles de la reconnaissance. Le droit international
économique est essentiel à leur viabilité puisque toute règle culturelle appelle un support matériel et s’insère dans une économie, mais dès lors il peut aussi, par ce
biais, neutraliser leur impact s’il impose les règles du seul capitalisme marchand, de la dérégulation financière et d’un libre-échange commercial toujours plus
poussé.
Prenons l’exemple de la diversité culturelle. Que peuvent valoir les règles de la convention de 2005 si elles ne prévoient pas leur primauté ou du moins leur compatibilité avec les règles commerciales de l’OMC ? Que devient le principe de « diversité des expressions culturelles », adopté en 2005 à l’UNESCO, si à l’OMC le seul régime juridique qui s’applique est celui, beaucoup plus restreint, de « l’exception culturelle » ? Et si la première puissance économique mondiale que sont les Etats-Unis utilise la technique juridique des accords bilatéraux afin d’en contourner systématiquement les règles au profit du libre-échange ? Depuis l’adoption de la convention, les Etats-Unis, qui ne sont pas partie à la convention de 2005, détournent le principe de diversité par une série d’accords bilatéraux, passés essentiellement avec les Etats du tiers monde, par le biais desquels ils subordonnent l’octroi d’avantages économiques à l’abandon des mesures internes de protection ou de promotion des cultures nationales et sub-nationales prévues dans la convention UNESCO. Le cynisme d’une telle politique détruit tout ce qui symboliquement était si décisif en termes de reconnaissance culturelle et de respect des identités dans la convention de 2005. Prenons un autre exemple : que valent les droits des minorités et des autochtones, la préservation de leur patrimoine, de leurs arts traditionnels, leurs forêts et leurs terres ancestrales si le jeu national et transnational des acteurs économiques privés, des compagnies pétrolières, minières ou forestières, peut s’imposer à eux de façon parfaitement licite, notamment par le biais de contrats d’investissements qui favorisent excessivement l’investisseur86[85]V. par exemple à ce sujet DEROCHE (F.) et BURGER (J.), Les peuples autochtones et leur relation à
la terre : un questionnement pour l’ordre mondial, Paris, L’Harmattan, 2008. ? En Amérique latine, par exemple, plusieurs entreprises se sont vues ouvrir de nouveaux marchés grâce à la mondialisation et au système néolibéral qui favorise la déréglementation des investissements, mais au détriment manifeste des droits des peuples autochtones87[86]V. par exemple WARDEN-FERNANDEZ, (J.), “Indigenous Communities’ Rights and Mineral Development”, Journal of Energy and Natural Resources Law, vol. 23, n 4, 2005, pp. 417 et ss.. Plusieurs d’entre elles sont d’ailleurs mises en cause pour cette raison comme Glamis Gold et Montana au Guatemala, Repsol en Bolivie et au Pérou ou encore Texaco en Equateur, mais sans qu’il y ait possibilité de trouver dans le droit social, dans les droits des peuples autochtones ou les droits de l’être humain la possibilité réelle de contrecarrer juridiquement des activités qui sont par ailleurs licitées la plupart du temps par le droit international des
investissements au regard des dispositions incluses dans les contrats d’investissements88[87]On met ici en exergue une tendance générale qui pourrait être évidemment nuancée sur certains contentieux. Je pense notamment aux rapports des commissions interaméricaine des droits de … Continue reading.
Le problème des relations entre ces régimes distincts a notamment été discuté lors de la négociation de la convention de 2005 relative à la diversité des expressions culturelles. Les négociateurs savaient parfaitement que le principe de diversité des expressions culturelles ne serait qu’un simple affichage sans conséquence en raison de la distorsion de puissance économique Nord-Sud et désormais Sud-Sud, mais aussi Nord-Nord si le droit de la concurrence prédominait sur le droit de la diversité culturelle89[88]V. COMBY (E.), « Quel type de coopération peut être engagé entre pays du Nord et pays du Sud ? », in RUIZ FABRI (H.) (dir.), La convention de l’UNESCO sur la promotion et la protection de la … Continue reading. Ils ont dès lors tenté de tenir compte de la différence de développement des Etats, mais aussi d’articuler les règles de la convention au droit international économique. Toute une série
d’articles est consacrée à la question du développement. Ils introduisent les principes de coopération, de traitement préférentiel et la création d’un Fonds de soutien aux PED (Art. 2, al 4 et Art 13 à 18). Mais le Fond est pour l’instant que très modestement alimenté et, qui plus est, comme l’indique si justement Hélène Ruiz Fabri90[89]RUIZ FABRI (H.), « Conclusion à deux voix » in RUIZ FABRI (H.) (dir.), La convention de l’UNESCO sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles, op. cit, p. 276., si les dispositions relatives à la coopération sont utilisées par les pays riches de façon conditionnelle afin de peser sur les orientations culturelles des PED, elles peuvent servir de biais pour réintroduire de manière détournée un nouvel impérialisme culturel. Le nouveau droit peut donc lui-même avoir des effets ambivalents et être utilisé comme une nouvelle contrainte sur les pays pauvres. Par ailleurs la convention prévoit les relations avec les autres instruments conventionnels des Etats parties (Art. 20 et 21) y compris leurs engagements économiques et financiers. L’article 20 dispose que ces relations doivent être de trois ordres : « soutien mutuel, complémentarité et non subordination ». En raison de la « non subordination », les Etats parties ne peuvent subordonner la convention de 2005 aux autres traités, mais ils ne peuvent pas non plus arguer de la convention pour modifier leurs autres engagements conventionnels. Il s’agit là d’une application classique du droit des traités. Il ne reste donc que le « soutien mutuel » ou la « complémentarité » et l’hypothèse d’une possible solution de compatibilité entre les dispositions des conventions. Or, si la compatibilité des règles et des actions des institutions concernées– peut en effet peut-être permettre de dégager une solution économique commune qui rende effectif le principe juridique de diversité, force est néanmoins de constater qu’à ce stade rien ne permet de savoir comment concrètement va se régler la relation entre les règles préservant et promouvant la diversité des expressions culturelles et les règles du droit international
économique. Et tout laisse même présager, pour l’instant, que le droit international économique de l’OMC va prévaloir de façon concrète comme il le fait déjà dans d’autres domaines.
Par où l’on retrouve sans surprise des problèmes qui concernent également le droit international relatif au développement. Et il en résulte inévitablement que
tout passe donc ultimement par la modification du droit international économique, telle que nous l’avons exposée ailleurs, mais aussi par la façon dont il peut, ou non, être articulé aux autres branches du droit international. Or nous savons tous que cette dernière question fait singulièrement problème en raison des caractéristiques propres à l’ordre juridique international91 99Nous parlons ici d’ordre juridique par commodité et au sens faible du terme car il ne forme pas un « système » au sens fort du terme mais un ensemble faiblement coordonné qui contient de l’ordre et du désordre. TOURME JOUANNET (E.) Le droit international, op. cit, pp. 39 et ss.)).
A l’inverse des ordres juridiques internes qui sont tous hiérarchisés d’une façon ou d’une autre, l’ordre juridique international actuel se caractérise par la fragmentation relative de ses régimes et la non-hiérarchisation véritable de ses règles. Certes, il existe des règles relatives à la succession des normes et des règles de compatibilité minimale en matière d’interprétation des traités, mais elles sont d’application limitée. Il est vrai également que l’on voit se dessiner une évolution en faveur d’une certaine hiérarchisation des normes du droit international avec l’existence de quelques principes communs formels et matériels, mais l’ordre juridique international n’en demeure pas moins encore faiblement coordonné92[90]V. DUPUY (P-M.), L’unité de l’ordre juridique international, Cours général de droit international public, RCADI, T. 297, 2002, et plus spécialement s’agissant de l’insertion du droit … Continue reading. Avec la dernière mondialisation, on peut penser qu’il est même de plus en plus déstructuré en raison d’un enchevêtrement toujours plus complexe d’espaces normatifs internationaux, transnationaux ou privés qui obéissent à leurs propres principes de cohérence93[91]V. WALKER (N.), « Au-delà des conflits de compétence et des structures fondamentales : cartographie du désordre global des ordres normatifs » in RUIZ FABRI (H.) et ROSENFELD (M.) (dir.), … Continue reading. Aussi cet état très particulier de l’ordre juridique international explique-t-il la juxtaposition de régimes juridiques sans lien entre eux comme ceux, par exemple, relatifs aux droits de l’être humain, au droit de l’environnement et donc aussi au droit économique, au droit du développement et au droit de la reconnaissance. L’ordre juridique international peut tout à la fois, et sans solution expresse de compatibilité, intégrer un droit international économique néolibéral et, en même temps, inclure des normes juridiques comme celles du droit de la reconnaissance et du développement qui requièrent d’y échapper en partie, chaque nouveau régime étant créé au gré des besoins des Etats et des autres acteurs de la société internationale sans qu’ils s’inquiètent outre mesure de leurs possibles effets contradictoires. Dit autrement : l’aspect incohérent, limité ou contradictoire des différents régimes de l’ordre juridique international est une conséquence logique
de son sous-bassement partiellement désordonné d’un point de vue sociologique94[92]V. BECK (U.), Pouvoirs et contre-pouvoirs à l’ère de la mondialisation, Paris, Flammarion, 2009. et de son absence de règles de compatibilité suffisantes ou de hiérarchisation réelle des normes.
Il en résulte le plus souvent la subordination de facto (et non de jure) des deux droits de la reconnaissance et du développement au droit international économique qui fait que le passage à une égalité plus réelle et plus différenciée ne contrecarre pas pour l’instant le jeu des règles qui continuent d’asseoir la domination économique et culturelle des plus puissants du moment et notamment des grands opérateurs économiques privés. De ce fait, les deux droits peuvent demeurer des instruments juridiques partiellement ineffectifs voire des paravents commodes permettant que se déploie en arrière-plan la même logique marchande consacrée par le droit international économique actuel. Il peut y avoir en cela un déplacement complet de ce qu’on leur présuppose comme finalité originaire et un détournement paradoxal de ces instruments juridiques où les promesses de développement et de reconnaissance servent en réalité à favoriser des « formes de soumission volontaire » à l’ordre existant qu’ils sont pourtant censés infléchir et réformer95[93]V. pour la reconnaissance, l’approche et les mises en garde de HONNETH (A.), La société du
mépris. Vers une nouvelle théorie critique, Paris, La découverte, 2006, pp. 245 et ss. et pp. 286 et … Continue reading.
CONCLUSION :
LES « PILIERS » D’UNE SOCIÉTÉ MONDIALE PLUS JUSTE ?
Le droit international relatif au développement et celui relatif à la reconnaissance sont formés d’ensembles hétérogènes de pratiques, de règles et de discours qui ont pu pour certains être abandonnés, pour d’autres être transformés ou réévalués ou pour d’autres encore être introduits de façon nouvelle. Les deux droits ne sont pas des branches juridiques parfaitement autonomes et individualisées ni des ensembles de règles formalisés, ce qui, du reste, importe peu96[94]V. PASSERON (J-C.) et BOUTIER (J.), Qu’est-ce qu’une discipline ? Paris Ed HESS, 2006.. Mais il est en revanche intéressant de voir que le droit relatif au développement vise avant tout à restaurer une plus grande équité tandis que le droit relatif à la reconnaissance vise à garantir un plus grand respect par une égalité différenciée c’est-à-dire une égalité qui combine l’égal respect de tous avec le droit à la différence culturelle de chacun si bien qu’ils peuvent effectivement constituer de possibles « piliers » d’une société mondiale plus juste fondée sur l’équité et le respect97[95]Une équité qui est aussi, on l’a vu plus haut, intergénérationnelle et intragénérationnelle comme le proclament les textes relatifs au développement durable ; ce qui implique, la protection … Continue reading.
On ne saurait oublier pour autant que ces deux droits sont le fruit de paradigmes de pensée dominants. Les deux droits du développement et de la reconnaissance montrent qu’à travers eux nous endossons les présupposés socio-culturels concernant le bien-être et l’estime de soi qui sont le produit des valeurs dominantes de notre époque que nous tenons pour moralement supérieures au passé et qui doivent donc s’imposer à tous. En disant cela, j’adopte une épistémologie antifondationnaliste et constructiviste. Une telle épistémologie signifie que si je parle de « piliers » juridiques d’une justice globale, je ne les envisage absolument pas comme des fondements nécessaires, s’imposant naturellement et universellement au monde entier en fonction d’une logique historique ou naturalisante. Ce sont, selon moi, des constructions juridiques qui ont émergé empiriquement du fait de l’activité des acteurs/sujets du droit international et qui sont la projection de valeurs morales politiques, économiques et culturelles des acteurs/sujets les plus influents de la société mondiale98[96]Mais aussi de façon liée, leurs valeurs « juridiques ». On peut ainsi prendre l’exemple de l’expansion du droit international de l’environnement sur le droit national des pays dits du « … Continue reading. Il en résulte qu’à supposer qu’ils constituent des branches fondamentales du droit pour la justice sociale de notre monde global, ils ne sont ni éternels ni immuables, mais ils sont contingents. On peut bien sûr les défendre et
argumenter pour montrer qu’ils représentent une avancée éthico-juridique, mais je ne le ferai pas en essayant de mettre en exergue ce qui pourrait être leur fondement rationnel ultime auquel je ne crois pas. Cette démarche se veut également critique et sceptique dans le sens où le droit international est ici considéré à travers le développement et la reconnaissance comme étant à chaque fois un problème et une solution aux attentes formulées en termes juridiques. Du reste, l’histoire du droit international a amplement démontré que toute nouvelle règle du droit international, toute nouvelle ou ancienne branche du droit international crée autant de problèmes que de solutions, et s’agissant de notre sujet en relation avec la justice, autant d’injustice que de justice.
par:
Emmanuelle TOURME JOUANNET
Professeure à l’Ecole de droit de Sciences Po
References
↑1 | La qualificatif de « global » veut signifier que la justice sociale n’est plus seulement internationale car cette question concerne, de façon directe, non seulement les Etats mais aussi les groupes, les individus en général, les femmes, mais aussi, de plus en plus, l’ensemble des acteurs/sujets civiques et économiques contemporains. Sur cette notion de sujet/acteur qui élargit les sujets de la société traditionnelle internationale. V. TOURME JOUANNET (E.), Le droit international, Paris, PUF, Coll. Que sais-je ?, 2013, pp. 39 et ss. C’est l’une des raisons pour lesquelles je parle aussi de société« mondiale » ou « globale » qui inclut l’« international » mais pas seulement. |
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↑2 | V. à ce sujet BOYER (A.), « Justice et égalité » in KAMBOUCHNER (D.) (dir.), Notions de philosophie, III, Paris, Gallimard, 1995, p. 10. |
↑3 | V. ARNAUD (A.J.) (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris,LGDJ, 1993, p. 188. |
↑4 | V. à cet égard les trois catégories de juriste introduites par DUPUY (P-M.) et KERBRAT (Y.), Droit international public, 12ème éd., Paris, Précis Dalloz, 2014, pp. 9-10. |
↑5 | VON BOGDANDY (A.), « La science juridique dans l’espace juridique européen, une réflexion à partir de l’exemple allemand », Recueil Dalloz, 2011, 24, pp. 2816-282. V. aussi PROST (M.), Unitas multiplex. Unités et fragmentations en droit international, Bruxelles, Bruylant, 2013, pp. 221 et ss ; SIMSON (G.), « On the Magic Mountain : Teaching Public International Law », EJIL, 1999, p. 73. Approche qui se retrouve dans toutes les institutions internationales et qui est aussi à l’origine de ce phénomène : v. par exemple HAAS (P.), « Epistemic Communities and International Policy Coordination », International Organization, 1992, pp. 12ss. |
↑6 | Je reprends ici les distinctions d’ordre méthodologique désormais bien connues et utilisées de VAN DE KERCHOVE (M.) et OST (F.), Le système juridique entre ordre et désordre, Paris, PUF, 1988, pp. 9 et ss. |
↑7 | V. JOUANNET (E.), Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? Le droit international entre développement et reconnaissance, Paris, Pedone, 2011. Et quand bien même là encore je tente un nouveau type de « discours juridique » mais critique et interdisciplinaire. |
↑8 | Ce qui est différent de la question de multiplicité de sens du positivisme. V. sur la question, non pas seulement du « droit positif » mais du « legal positivism, l’ouvrage très stimulant de KAMMERHOFER (J.) et D’ASPREMONT (J.), International Legal Positivism in a Post-Modern World, Cambridge UP, 2014. |
↑9 | V. concrètement l’existence de ce pluralisme in RATNER (S. R.) and SLAUGHTER (A-M.), Methods in International Law, American Society of International Law Studies in Transnational Legal Policy, 2004 ; mais aussi la critique radicale faite par M. Koskenniemi comme auteur crit (CLS) dans le livre puisqu’il dénonce une approche libérale de la méthodologie sous la forme d’une sorte de « forum shopping » et défend donc une approche critique du droit comme étant la seule pertinente. Selon moi, toutefois, la question demeure exclusivement celle de la justification de sa méthodologie et de sa représentation du droit, ce qui ne signifie absolument pas que toutes les méthodologies se valent. |
↑10 | Du reste l’utilisation du « je » au lieu du « nous » ne doit pas non plus créer de malentendus. Il ne s’agit pas de personnaliser un texte pour satisfaire je ne sais quel ego qui serait particulièrement déplacé, mais de montrer par-là que cette étude est le point de vue d’une auteure située, dont la subjectivité ne tient pas à être masquée car elle retentit inévitablement sur les thèses ici défendues. C’est montrer plus clairement un point de vue constructiviste et perspectiviste. Il s’agit de toute façon d’une affaire de style et de stratégie car le « je » ne peut pas être nécessairement utilisé pour autant dans le cadre de certains rôles à jouer en tant que juriste. |
↑11 | FRASER (N.), Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, Paris, La Découverte, 2006. |
↑12 | La tradition francophone a ceci de spécifique qu’elle a contribué à rassembler entre elles des règles et pratiques juridiques, sous le vocable droit du développement, qui avaient pour point commun de compenser les inégalités, économiques et sociales de situations entre pays nouvellement décolonisés et pays industrialisés, entre le Sud et le Nord. De son côté la tradition anglophone a élargi la vision des relations entre droit et développement en utilisant beaucoup plus volontiers la formule « Law and Development », incluant de ce fait toutes les règles, équitables ou non, qui contribuent au développement économique des Etats défavorisés. Pour les représentants du courant francophone v. notamment BENNOUNA (M.), Droit international du développement, Paris, Berger-Levrault, 1983 ; BETTATI (M.), Le nouvel ordre économique international, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1985 ; FLORY (M.), Droit international du développement, Paris, Thémis, 1977 ; JOUVE (E.), Le tiers-monde dans la vie internationale, Paris, Berger-Levrault, 1986 ; PELLET (A.), Droit international du développement, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1987 ; FEUER (G.) et CASSAN (H.), Droit international du développement, Paris Dalloz, 1990 ; LADREIT DE LACHARRIERE (G.), Commerce extérieur et sous-développement, Paris, PUF, 1964. V. aussi les deux colloques de la Société française de droit international : Le droit international économique, Orléans, 1971, Paris, Pedone, 1972 et Pays en voie de développement et transformations du droit, Aix, 1973, Paris, Pedone, 1974. |
↑13 | Pour une information plus détaillée v. JOUANNET (E.), Qu’est-ce qu’une société internationale juste ?, op. cit, pp. 25 et ss. |
↑14 | V. en ce sens le discours (particulièrement ambivalent) du président Truman en 1949. Discours sur l’état de l’Union du 20 janvier 49, Déclaration du président Truman, Point IV, 20 janvier 1949. Texte disponible sur http://perspective.usherbrooke .ca/bilan/servlet/BMGvt?codePays=USA. Le discours de Truman débouche en juin 1950 sur la signature de l’Act for International Development (AID, Programme pour le Développement International). Pour une analyse beaucoup plus approfondie, v. JOUANNET (E.), Le droit international libéral-providence. Une histoire du droit international, Bruxelles, Bruylant, 2011, Chap III et IV, pp. 154 et ss. |
↑15 | V. JOUANNET (E.), Qu’est-ce qu’une société internationale juste ?, op. cit, pp. 41ss, pp. 62 et ss et pp. 93 et ss. |
↑16 | V. l’analyse très approfondie sur cette question de PAHUJA (S.), Decolonising International Law. Development Economic Growth and the Politics of Universality, Cambridge UP, 2011, pp.95-171. |
↑17 | V. Les analyses nuancées et très instructives de J-M Sorel concernant le cas particulier des marchés financiers dans le cadre européen : SOREL (J-M.), « Les Etats face aux marchés financiers », in Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du 20ème siècle, Mélanges en l’honneur de Philippe Kahn, LITEC, Paris, 2000, pp. 507-543 et « Conclusions : Une fable moderne : l’Etat, l’Union européenne, les marchés financiers et l’aléa moral », in SOREL (J-M.) et CHEMAIN (R.) (dir.), Quelle souveraineté budgétaire pour les Etats ? Paris, Pedone, coll. Cahiers internationaux, 2013, pp. 193-200. |
↑18 | Par exemple, AGNU, Résolution du 21 décembre 1990, A/RES/45/1999. AG de l’ONU, Résolution du 22 décembre 1992, A/RS/47/171 ; AGNU, Résolution du 21 décembre 1990, Esprit d’entreprise, A/RES/45/118 et AGNU, Résolution du 22 décembre 1999, Les entreprises et le développement, A/RES/54/204. |
↑19 | La conférence de Carthagène en 1992 marque une évolution historique dans la politique de la CNUCED avec l’acceptation des principes libéraux, du fonctionnement du marché, du retrait de l’Etat, du rôle des acteurs privés mais aussi de la bonne gouvernance et des droits de l’être humain comme impératifs d’un bon développement. Toutefois avec le second tournant des années 2010 vers le principe d’une « mondialisation équitable », elle est revenue sur des positions moins néolibérales. |
↑20 | Du reste, il n’y a rien de surprenant en cela mais une logique bien connue qui est à l’oeuvre et qui a une véritable cohérence puisque la pensée néolibérale vise à soustraire l’économie de toute intervention politique et à dépolitiser les relations internationales au profit des lois économiques du marché qui, à terme, doivent être profitables à tous (De façon emblématique, FRIEDMAN (M.), Capitalisme et liberté, Paris, Leduc, 2010 et HAYEK (F. A.), Droit, législation et liberté, Paris, PUF, 2013).Elle est un « économisme » c’est-à-dire qu’elle place l’économie en position de « dernière instance » et préconise la dépolitisation et la déjuridicisation publique mais pas privée ultime au profit des lois du marché mondial afin d’éviter le retour de politiques sociales interventionnistes qui sont considérées comme perturbatrices des lois spontanées du marché. Et malgré les innombrables critiques dont il fait l’objet, ce modèle continue de s’imposer. |
↑21 | FLORY (M.), « Mondialisation et droit international du développement », RGDIP, 1997/3, p. 628. |
↑22 | En outre, il est vrai que le droit du développement classique a souvent été porté par une idéologie anti-libérale (mais pas systématiquement) si bien qu’il a été plus spécifiquement frappé d’ostracisme que d’autres branches du droit international dès lors qu’il a paru souvent véhiculer avec lui une structure intellectuelle sous-jacente voisine du marxisme. Il se serait dès lors effondré en même temps que cette idéologie. Mais dans notre contexte actuel renouvelé, l’hypothèque que faisait peser le marxisme sur le droit international du développement semble être levée, par le fait même de son effondrement, et le recul des années permet de réfléchir de façon dépassionnée sur les mérites tout autant que les difficultés des doctrines qui s’en étaient inspiré et qui peuvent tout à fait légitimement continuer de s’en inspirer en tenant compte des leçons du passé (V. par exemple les travaux de R. Bachand à l’UQAM). Aujourd’hui, en dehors des autres disciplines qui continuent de s’y intéresser, parmi les internationalistes ce sont surtout des auteurs du tiers monde, mais formés dans les écoles de droit anglo-saxonnes, qui écrivent encore sur ces questions. A titre d’exemple, pour un aperçu en français v. TOUFAYAN (M.), TOURME JOUANNET (E.) et RUIZ FABRI (H.) (dir.), Nouvelles approches sur le tiers monde ; entre répétition et renouveau, Paris, SLC, 2013. |
↑23 | OCDE, Rapport 2010, Perspectives du développement mondial : le basculement de la richesse, vol. 1.Texte disponible sur www.oecd.org/document/30/0,3343,fr_ 2649_33959_45427806_1_1_1_1,00.html |
↑24 | BRUNEL (S.), Le Sud dans la nouvelle économie mondiale, Paris, PUF, 1995, pp. 245 et ss. |
↑25 | Pour les faits justement, v. par exemple le dossier Pays émergents : vers un nouvel équilibre mondial ?, Problèmes économiques, avril 2010, n°29993. |
↑26 | Robert Zoellick est l’ancien directeur du Groupe de la Banque mondiale. V. son discours à Washington le 14 avril 2010. Texte disponible sur http://www.lesafriques. com/actualite/les-oraisonsfunebres-du-tiers-monde-par-robert-zoellick.html?Itemid= 89 |
↑27 | Souligné par l’OCDE dans son dernier rapport 2014 sur le Panorama de la société et demandant aux Etats d’anticiper les prochaines crises à venir. V. OCDE, Rapport 2014, Panorama de la société 2014. Accessible sur http://www.cnle.gouv.fr/L-OCDE-publie-le-rapport-Panorama.html. Pour l’Afrique, v. CNUCED, Rapport 2014 : Le développement économique en Afrique. Catalyser l’investissement pour une croissance transformatrice, pp. 3-4. Accessible sur le site http://unctad.org/fr/PublicationsLibrary/aldcafrica2014_fr.pdf. Et à propos de la faim dans le monde, v. FAO, Rapport 2014 sur l’état d’insécurité alimentaire. Accessible sur : http://www.fao.org/ publications/sofi/2014/fr/ |
↑28 | Souligné par l’OCDE dans son dernier rapport 2014 sur le Panorama de la société (op. cit, précité supra note 27) qui demande aux Etats d’anticiper les prochaines crises à venir. |
↑29 | V. notamment le Rapport de la Banque mondiale, Equité et Développement, 2006. Texte disponible sur http://siteresources.worldbank.org/INTANNREP2K6/ Resources/2838485-1158549322105/WBAR06 French.pdf. |
↑30 | V. SUPIOT (A.), L’Esprit de Philadelphie : la justice sociale face au marché total, Paris, Seuil, 2010. |
↑31 | Je ne peux reprendre ici toutes les déclarations, rapports et engagements en ce sens au tournant des années 2010. V. à cette fin, Qu’est-ce qu’une Société internationale juste ?…, op. cit, pp. 121-122 |
↑32 | On parle souvent à cet égard de la dimension intragénérationnelle du développement durable dans la mesure où il s’agit cette fois-ci d’une équité dans l’espace -au même moment- entre Etats, groupes et êtres humains. Mais c’est aussi la raison pour laquelle, comme l’évolution des textes l’atteste, on ne peut pas réduire le développement durable à sa composante environnementale, du moins au plan mondial, et pas non plus au seul équilibre entre développement économique et protection de l’environnement. La dimension humaine et sociale fait désormais partie intégrante du concept mais on ne la voit apparaître souvent que de façon détournée et limitée quand les auteurs abordent la question des relations entre développement durable et droits humains. |
↑33 | Selon la fameuse formulation du non moins célèbre Rapport Brundtland. Notre avenir à tous, Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Québec, les Ed du fleuve, 1988, p. 10. |
↑34 | V. en ce sens BOURG (D.), Le développement durable, Encyclopedia universalis, p. 1. Texte disponible sur http://www.universalis.fr/encyclopedie/developpement-durable/ |
↑35 | Préambule al. 2 : Résolution 2 Plan d’action du sommet mondial sur le développement durable du 4 septembre 2002, A/CONF 199/ 20. On note également l’inflexion en faveur de l’humain et du social, notamment au §5 : « La paix, la sécurité, la stabilité et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment le droit au développement, ainsi que le respect de la diversité culturelle, sont essentiels pour assurer un développement durable ». Texte disponible sur http://wwwv1.agora 21.org/ johannesburg/rapports/plan-action.pdf |
↑36 | Sur toutes les conventions où il est mentionné dont deux cent où il est invoqué dans le corps même du texte et non pas dans le préambule. v. infra la contribution de Virginie Barral. Sur l’utilisation du développement durable, inscrit dans le préambule du GATT 94, comme élément d’interprétation, v. la première affaire décisive en ce sens de l’ORD : ORD, Organe d’appel, Rapport, 6 novembre 1998, Etats-Unis – Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, WT/DS58/AB/R. Pour les détails de cette utilisation v. BOISSON DE CHAZOURNES (L.) et MALJEAN DUBOIS (S.), Principes du droit international de l’environnement, Jurisclasseur, Fasc.146-15, 2010, pp. 16 et ss. S’agissant d’un autre exemple, le droit des investissements, le principe de développement durable n’a jamais été invoqué en tant que tel, à savoir en tant que principe « juridique » applicable à un litige d’investissement. Faute d’intégration « positive » dans le droit des investissements, il ne constitue donc pas un standard autonome en la matière, même s’il est parfois considéré par certains comme un des objectifs principaux de ce droit qui doit guider l’interprétation et l’application des standards existants. V. en ce sens NEWCOMBE (A) »Sustainable Development and Investment Treaty Law », J. World Investment &Trade, 2007, p. 357. V. aussi de manière générale CORDONIER SEGGER (M.C), GHERING (M.W), NEWCOMBE (A.) (eds) Sustainable Development in World Investment Law, Kluwer, 2011. L’intégration « positive » du principe dans le contentieux des investissements est une discussion en pleine évolution aujourd’hui. Plusieurs initiatives sont menées pour intégrer expressément le développement durable aux accords bilatéraux de promotion et de protection de l’investissement étranger. Les travaux de l’IISD – proposition d’un modèle de TBI compatible et d’un guide à l’usage des négociateurs – en sont un bon exemple (http://www.iisd.org/investment/capacity/model.aspx). |
↑37 | L’emploi de ces termes bien connus renvoie ici, selon moi, à deux formes de juridicité, mais, comme je l’indiquais en introduction, chacun les interprètera suivant sa propre conception du droit ; pour une analyse très subtile des questions contemporaines de normativité/juridicité, v. ASCENSIO (H.), « Les normes produites à l’OCDE et les formes de normativité », in SFDI, Le pouvoir normatif de l’OCDE, Pedone, Paris, 2014, pp. 7-23. Du reste, les interprétations sur la nature normative/juridique du développement durable sont multiples. V. par exemple, à travers une littérature doctrinale très abondante, le développement durable comme « meta principe » et « outil herméneutique », selon LOWE (V.), Sustainable Development and Unstainable Agreements in International Law and Sustainable Development. Past, Achievements and Future Challenges, BOYLE and FREESTONE, OUP, Oxford, 1999, p. 34 ou le développement durable « comme matrice conceptuelle » selon DUPUY (P-M.), « Où en est le droit international de l’environnement à la fin du siècle ? », RGDIP, 1997, p. 886 ; V. aussi la synthèse de cette question par LANFRANCHI (M-P.), « Le développement durable », Fascicule 2015 du Jurisclasseur de droit international, Editions du Jurisclasseur, 2011, spec. §§ 36 et ss, et bien sûr infra dans cet ouvrage la contribution du Virginie BARRAL ainsi que sa thèse très approfondie sur la question : Le développement durable en droit international : essai sur les incidences juridiques d’un concept évolutif, Institut universitaire européen de Florence, thèse 2007. |
↑38 | Pour autant, les tentatives de conciliation ou les interactions sont de plus en plus prises en compte. Une institution aussi importante que la BM, par exemple, est consciente de la question du développement durable et tente de concilier les objectifs contradictoires à travers ses « directives opérationnelles » et ses « politiques de sauvegarde ». S’agissant du droit des investissements, quelles que soient les réticences observées dans la pratique arbitrale, la question de la protection des droits humains y resurgit à échéances régulières, chaque fois que le différend s’y prête. Au premier coup d’oeil, le rapport transnational d’investissement se distingue par l’envergure financière des opérations entreprises. A y regarder de plus près, les répercussions de l’activité dépassent systématiquement le registre économique pour toucher, avec une intensité changeante, la population et son environnement. Emblématique de l’investissement étranger, l’exploitation des ressources naturelles alimente en permanence un contentieux d’intérêt public, où les références à la protection des droits humains et de l’environnement interagissent avec les intérêts et droits économiques des parties. On peut citer plusieurs affaires où la question s’est posée faisant surgir des tensions entre les deux régimes. V. parmi une jurisprudence qui commence à devenir consistante par exemple : Biwater Gauff (Tanzania) Ltd. (Biwater) c. Tanzanie, affaire CIRDI n° ARB/05/22, sentence du 24 juillet 2008 ; Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona S.A., and InterAguas Servicios Integrales del Agua S.A. (Suez) c. Argentine, affaire CIRDI n° ARB/03/17, sentence au fond du 30 juillet 2010 ; Piero Foresti, Laura de Carli & Others (Foresti) c. Afrique du Sud, affaire CIRDI n° ARB(AF)/07/01, sentence du 4 août 2010. |
↑39 | KEMPF (H.), La balaine qui cache la forêt. Enquêtes sur les pièges de l’écologie, Paris, La découverte, 1994, pp. 27 et ss. Au point de vue juridique on observe que la tension entre protection des populations autochtones et protection de la biodiversité se répercute à l’échelle nationale. En effet, nombre d’auteurs ont souligné que ces deux objectifs, que les organisations internationales appellent de leurs voeux et tentent de renforcer, entrent souvent en collision. Des contrats de type « payments for ecosystem services » passés entre Etats et certaines populations autochtones, se traduisent parfois en l’imposition de normes et de processus contraires aux traditions de ces groupes. C’est une étude qui est en train d’être menée à l’Ecole de droit de Sciences Po par Nicolas AUDIFAX. V. également de façon instructive le rapport présenté par le Stockholm Resilience Center, Biodiversity Financing and Safeguards : Lessons Learned and Proposed Guidelines. Texte proposé à la discussion lors de la Conférence des parties à la convention sur la diversité biologique du 5 juin 1992 (EV 1993), Twelfth meeting. Pyeongchang, Republic of Korea, 6-17 October 2014. Texte disponible sur http://www.stockholmresilience.org/21/publications/artiklar/10-1-2014-biodiversity-financing-andsafeguards-lessons-learned-and-proposed-guidelines.htm |
↑40 | BRUNEL, (S.), A qui profite le développement durable ?, Paris, Larousse, 2008, p. 9. V. de la même façon LE PRESTRE (P.), Protection de l’environnement et relations internationales. Les défis de l’écopolitique mondiale, Paris, A. Colin, p. 230. |
↑41 | On ne revient pas sur le détail de ces questions, développées ailleurs à propos des négociations puis des révisions du Protocole de Kyoto (11 décembre 1997, EV 2005) joint ultérieurement à la Convention cadre sur les changements climatiques du 9 mai 1992 (EV 1994), Mais on peut aujourd’hui signaler l’accord bilatéral qui vient d’être conclu, le 12 novembre 2014, entre la Chine et les Etats Unis pour une réduction des émissions de leur gaz à effet de serre. S’il est suivi d’effets, il aura peut-être une influence sur la conférence multilatérale sur le climat devant se tenir à Paris en 2015. |
↑42 | La diffusion du principe à tous les acteurs institutionnels et aux acteurs économiques privés est analysée par FRENCH (D.), International Law and Policy of Sustainable Development, Manchester UP, 2005. Il faudrait citer là encore plusieurs exemples comme les Equator Principles Financial Institutions (EPFI’s), la Déclaration de l’OCDE de 1976 et plusieurs principes directeurs de l’OCDE en ce sens, les codes de conduite aux entreprises ou encore la norme ISO 26000, adoptée en 2010. ISO 26000, Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale, 2010. V. sur ces textes et d’autres, LANFRANCHI (M-P.), Développement durable, Jurisclasseur, op. cit, pp. 39-40. |
↑43 | Tout commence avec le PNUD qui, en 1990, lance un « indicateur du développement humain » (IDH). Celui-ci vise à évaluer l’état de développement d’un Etat, non seulement en termes de revenus (PIB par habitant) mais aussi en fonction de la capacité qu’à chaque individu de faire des « choix ». Pour ce faire, il insère deux indicateurs non économiques : le premier est sanitaire (espérance de vie et taux de mortalité infantile) et le second est éducatif (taux de scolarisation des enfants et d’alphabétisation des adultes). Ce nouvel indicateur du développement humain vise à modifier le paradigme antérieur du développement pour aller au-delà d’une vision strictement économique du développement. En effet, comme le dit l’économiste pakistanais Mahbub ul Haq, le père de l’IDH, l’objectif du développement ne doit plus être la croissance en tant que telle mais «de créer un environnement favorisant l’épanouissement pour que les gens puissent jouir d’une vie longue, saine et créative » (Cité sur le site du PNUD à la rubrique « développement humain » : http://hdr.undp.org/fr/devhumain/. ) Les travaux de Mahbub ul Haq sont à mettre en relation avec ceux de SEN (A.), Un nouveau modèle économique. Développement, justice et liberté, Paris, O. Jacob, 2003,pp. 21 et ss. Il s’agit de faire en sorte que l’on puisse élargir les choix qui s’offrent aux gens car c’est cette capacité à faire des choix en fonction de leurs propres préférences et valeurs (appelée désormais « capabilité »), grâce aux opportunités réelles qui leur sont offertes, qui est gage de leur bien-être, et non pas l’élévation du revenu ou l’accumulation des richesses. |
↑44 | J’utilise délibérément le terme de « droits de l’être humain » de manière générale car il n’est pas genré, mais je continue à employer celui de « droits de l’homme » quand il s’agit de reprendre les titres d’institutions ou autres traduits de cette façon ou de faire référence à la tradition française. Pour un aperçu de la querelle sémantique récurrente existant à ce sujet. V. LOCHAK (D.), Les droits de l’homme, 2ème ed., Paris, La découverte, 2005, pp. 4-6. |
↑45 | Texte disponible sur http://hdr.undp.org/en/media/hdr_1999_fr_contenu.pdf |
↑46 | DE FROUVILLE (O.), « Commentaire Article 1, paragraphe 3 », in COT (J-P.), PELLET (A.) et FORTEAU(M.) (dir.), La Charte des Nations-Unies. Commentaire article par article, Paris, Economica, 2005, pp. 358-359. |
↑47 | La première opération de « subjectivisation » emblématique en ce domaine du droit de en droit à est bien sur le fameux « droit au développement » reconnu par l’AGNU dans la Déclaration générale sur le droit au développement du 4 décembre 1986 mais il est encore sujet à de très nombreusescontroverses. Texte et commentaires accessibles sur http://www.cetim.ch/fr/ documents/bro6-develop-A4-fr.pdf. Pour le droit à l’eau, v. La Résolution 64/292 de l’AGNU du 28 juillet 2010 sur le droit fondamental de l’homme à l’accès à l’eau potable et à l’assainissement. Elle s’appuie directement sur de multiples conventions internationales relatives aux droits de l’être humain et sur l’objectif 7 des OMD de la Résolution du Millénaire (2000). Pour le droit à une alimentation adéquate et accessible, v. la nouvelle impulsion donnée par le Sommet mondial sur l’alimentation à Rome en 1996. Il s’appuie sur plusieurs conventions internationales relatives aux droits de l’être humain et plusieurs directives et résolutions venant d’institutions différentes (V pour une synthèse http://www.srfood.org/fr/droit-a-l-alimentation). Pour le droit à la santé, v. l’ensemble des instruments juridiques conventionnels sur le site de l’OMS, accessible sur http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs323/fr/ |
↑48 | L’idée d’une conditionnalité de l’intervention des institutions financières internationales avait été expressément rejetée lors des travaux préparatoires de Bretton Woods. L’article V des Statuts du FMI stipule qu’un pays peut avoir accès aux ressources sur une simple déclaration de besoin de financement. L’article 40-10 des Statuts de la BIRD interdit toute intervention de la Banque dans les activités politiques d’un pays. Mais le principe de réserver l’aide à ceux qui sont le mieux à même de l’utiliser a été introduit en pratique. Il répondait avant tout à des considérations techniques et financières présentées comme étant « neutres politiquement » bien que les considérations politiques ne soient évidemment pas absentes puisqu’il s’agissait d’imposer un modèle libéral de développement, incluant tous les principes juridiques individualistes du libéralisme économique. |
↑49 | V. sur cette question BOISSON DE CHAZOURNES (L.), « Banque mondiale et droit social, les termes d’un partenariat » in DE SENARCLENS (P.) (dir.), Maîtriser la mondialisation : La régulation sociale internationale, Paris, Presses de Sciences Po, 2000, pp. 193 et ss. V. aussi le PNUD et la gouvernance démocratique. Texte disponible sur: http://www.undp.org/french/focusareas/governance.shtml. Par ailleurs, les tests de bonne gouvernance, que beaucoup de PED sont obligés de passer pour obtenir l’aide de la Banque, sont évalués à travers plusieurs critères qui englobent aujourd’hui le plus souvent les éléments caractéristiques des Etats de droit, des démocraties, y compris le respect de certains droits de l’être humain : primauté du droit, indépendance des juges, qualité du service public, respect des droits de propriété, égalité des sexes, libertés de presse, d’opinion et d’association, participation des citoyens à la vie publique et politique, transparence et lutte contre la corruption. Le fait de prendre en compte directement le respect de certains droits humains fondamentaux, comme ceux relatifs à l’intégrité physique des personnes, accentue encore plus cette tendance forte et nouvelle. On peut citer ainsi l’exemple très frappant du premier accord triennal entre le Burkina Faso, le FMI et la Banque mondiale, où la conditionnalité de l’aide porte, entre autres, sur la réduction du nombre d’excisions (indiqué par CHAVAGNEUX (C.) et TUBIANA (L.), Gouvernance mondiale. Rapport du CAE, n°37, La documentation française, 2002, p. 50). Or on retrouve cette orientation nouvelle dans les engagements des Etats sur l’aide au développement. V. par exemple la Déclaration finale du 22 mars 2002 (Mexico), Consensus de Monterrey sur le financement du développement. Texte disponible sur http://www.un.org/esa/ffd/ monterrey/Monterrey Consensus.pdf. Les mêmes critères ont été repris dans la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide du 2 mars 2005 et imposés aux bénéficiaires de l’aide par le Programme d’action d’Accra (PPA), adopté en 2008, afin de mettre en oeuvre les engagements de la Déclaration. |
↑50 | Sachant que l’approche par les droits humains se différencie et parfois s’oppose à celle par les besoins fondamentaux. V. MEYER-BISCH (P.), « Les violations des droits culturels, facteur d’appauvrissement durable : pour une observation des pauvretés culturelles », DECAUX (E.) et YOTOPOULOS-MARANGOPOULOS (A.) (dir.), La pauvreté, un défi pour les droits de l’homme, Paris, Pedone, 2009, pp.185 et ss. |
↑51 | Résolution 3281 AGNU du 12 décembre 1974 sur la Charte des droits et devoirs économiques des Etats. Je ne peux pas revenir ici sur ce qui a différencié et rapproché le droit du développement et le NOEI. |
↑52 | Où l’on retrouve l’influence des célèbres travaux d’Amartya Sen, y compris sur la banque mondiale, via l’ancien président de la Banque, James Wolfensohn. V. SEN (A.), Un nouveau modèle économique. Développement, justice et liberté, op. cit, pp. 12 et ss. Sen défend la thèse du « développement comme liberté », ou plus précisément du « développement comme processus d’expansion des libertés réelles dont jouissent les individus » Ses travaux sur les famines sont à l’origine de sa thèse extrêmement intéressante : SEN (A.), Poverty and Famines : An Essay on Entitlement and Deprivation, Oxford, Clarendon Press, 1981. |
↑53 | V. en ce sens l’analyse faite par Kiara NERI infra dans cet ouvrage. |
↑54 | Le PNUD a d’ailleurs critiqué le principe de conditionnalité in PNUD, Rapport mondial sur ledéveloppement humain, Droits de l’homme et développement humain, 2000, en préférant la notion.d’« Approche basée sur les droits humains ». Texte disponible sur http://hdr.undp.org/fr/content/rapport-sur-le-d%C3%A9veloppement-humain-2000. Mais à y regarder de près, on a quelques doutes sur la clarification qui a voulu être apportée à la conditionnalité sinon qu’elle substitue une politiques des « droits » à une politique des « besoins ». |
↑55 | De façon similaire au projet du Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali en 1993 d’en faire la « norme politique ultime de toutes les sociétés ». V BOUTROS-GHALI (B.), Discours d’ouverture du secrétaire général des NU à la Conférence mondiale sur les droits de l’homme, Vienne, 14 juin 1993, A/Con.157/22. |
↑56 | V. cependant OCDE, Rapport 2014, Panorama de la société 2014. Accessible sur http://www.cnle.gouv.fr/L-OCDE-publie-le-rapport-Panorama.html. Il montre la détérioration économique, financière et sociale de plusieurs pays de l’OCDE (donc du « Nord ») qui sont encore la conséquence de la crise de 2007-2008, et notamment : « les effets en cascade (qui) se font durement sentir sur les perspectives d’emploi, les revenus et les conditions de vie de la population. Quelques 48 millions de personnes, dans les pays de l’OCDE, sont actuellement à la recherche d’un emploi –soit 15 millions de plus qu’en septembre 2007 – et un plus grand nombre encore connaissent de graves difficultés financières. Le nombre de personnes vivant dans des ménages sans aucun revenu du travail a doublé en Grèce, en Irlande et en Espagne. Les groupes à faible revenu ont été particulièrement durement touchés tout comme les jeunes et les familles avec enfants ». |
↑57 | V. par exemple mais avec des approches différentes que je ne peux exposer ici : CAILLE (A.) (dir.), La quête de la reconnaissance. Nouveau phénomène social total, Paris, La découverte, 2007 ; TAYLOR (Ch.), Multiculturalisme. Différence et démocratie, Paris, Flammarion, 2005 ; SAVIDAN (P.), Le multiculturalisme, Paris, PUF, 2009 ; HONNETH (A), La lutte pour la reconnaissance, Paris, Cerf, 1992 et La société du mépris. Vers une nouvelle théorie critique, Paris, La découverte, 2006 ; RICOEUR (P.), Parcours de la reconnaissance, Paris, Gallimard, 2004, FRASER (N.), Qu’est-ce que la justice sociale ?, op. cit, passim et MARKELL (P.), Bound by recognition, Princeton UP, 2003. |
↑58 | Par ex, la déclaration, désormais célèbre, du Premier ministre australien en 1992 sur la « reconnaissance » des « crimes » commis à l’égard des Aborigènes. Cité in PIQUET (M.), Australie plurielle. Gestion de la diversité ethnique en Australie de 1788 à nos jours, Paris, L’Harmattan, 2004, p.25. Et de la même façon, v. aussi infra, note 62 la déclaration reconnaissance le 6 juin 2013 par le gouvernement britannique des crimes commis dans les années 50 à l’encontre des MauMau (Kikuyus). |
↑59 | A ce jour, hormis les nombreux accords internes passés par les Etats avec leurs minorités autochtones qui sont très intéressants à analyser, on peut citer le Traité d’amitié entre la Libye et l’Italie du 30 aout 2008 où l’Etat italien admet volontairement sa responsabilité pour la période coloniale et accorde 5 milliards de réparation sous la forme d’aide aux investissements. Ce traité a été fortement contesté par certaines ONG car il inclut en contrepartie la limitation des flux migratoires vers l’Italie. Des négociations de révision sont en cours et la question de son maintien en vigueur est débattue. |
↑60 | Une reconnaissance par une Résolution de l’AGNU du 18 décembre 1992 (AG/47/135) : Déclaration sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, le Document de Copenhague de la conférence sur la dimension humaine de la CSCE du 29 juin 1990, la Convention cadre pour la protection des minorités nationales du 1er février 1995 (EV 1998), la Charte européenne pour la protection des langues régionales ou minoritaires du 5 novembre 1992 (EV 1998) ou encore le Traité de Lisbonne du 13 décembre 2007(EV 2009) modifiant le Traité de l’UE qui mentionne comme valeurs de l’UE, « le droit des personnes appartenant à des minorités » (art 2 TUE). |
↑61 | Elle accorde aux quatre plaignants le droit à poursuivre leur action en vue d’obtenir réparation pour les crimes commis par les Britanniques au Kenya dans les années 50. A la suite de quoi le gouvernement britannique, le 6 juin 2013, déclarait reconnaître les crimes commis à leur encontre durant la période coloniale et leurs accordait réparation. Texte de la déclaration disponible sur https://www.gov.uk/government/news/statement-to-parliament-on-settlement-of-mau-mau-claims |
↑62 | C’est Axel Honneth qui a le plus approfondi cette modalité de la reconnaissance de l’autre par le droit en le reconnaissant comme sujet de droit égal in HONNETH (A.), La lutte pour la reconnaissance, Paris, Cerf, 1992. |
↑63 | Cette réflexion a été développée en France notamment par TOURAINE (A.), Pourrons-nous vivre ensemble ? Vivre égaux et différents, Paris, Fayard, 1997 et MESURE (S.) et RENAUT (A.), Alter ego. Les paradoxes de l’identité démocratique, Paris, Flammarion, 2002. |
↑64 | V. JOUANNET (E.), Qu’est-ce qu’une société internationale juste ?, op. cit, pp. 167 et ss, et « Le droit international de la reconnaissance », RGDIP, 2012-4, pp. 769-800. |
↑65 | Et on peut objecter à certains commentateurs que la reconnaissance des identités multiples permet en outre de consolider la reconnaissance de l’égale dignité des êtres humains, et non pas de la dénier. Reconnaître des droits spécifiques liés à l’identité culturelle de tout être humain permet de respecter plus pleinement son égale dignité car c’est le reconnaître dans sa plénitude comme étant à la fois « égal et différent » ; ce n’est donc pas une source de conflit potentiel car cela rendrait plus faciles et épanouies les relations entre des personnes qui, grâce au droit, se sentent respectées également dans leur identité et dans leurs choix culturels. A vrai dire, le danger d’une utilisation abusive à des fins conservatrices ou intégristes ne peut être ignoré pour autant, car l’identité est aussi une reconstruction qui peut servir des intérêts politiques divers et donner lieu à des usages conflictuels que la reconnaissance juridique de droits ne peut empêcher, voire peut aussi favoriser si elle est détournée de sa finalité originaire. Mais cela fait partie de l’ambivalence intrinsèque du phénomène et surtout des usages concrets du droit qui peuvent, comme en n’importe quel domaine du droit, détourner une règle de sa finalité d’origine –et produire précisément ici de l’injustice là où l’on attend de la justice. |
↑66 | CAILLE (A.), « Introduction », CAILLE (A.) (dir.), La quête de la reconnaissance. Nouveau phénomène social total, op. cit, p. 5. |
↑67 | FRASER (N.), Qu’est-ce que la justice sociale ?… op. cit., p. 14. |
↑68 | Selon le mot de Bertrand Badie in BADIE (B.), L’Etat importé. Essai sur l’occidentalisation de l’ordre politique, Paris, Fayard, 1992. |
↑69 | BESSIS (S.), L’Occident et les autres. Histoire d’une suprématie, Paris, La découverte, 2013, p. 314. |
↑70 | V. par exemple la Recommandation générale n°23, 1993, du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) sur les populations autochtones in Rapport annuel du CERD, doc. A/52/18 (1997), annexe V et la Recommandation générale n°27 relative aux discriminations contre les Roms in Rapport annuel du CERD, doc. A/55/18 (2000), annexe VC. |
↑71 | V. par exemple NUSSBAUM (M. C.), Femmes et développement humain. L’approche des capabilités, Paris, Ed. Fourque, 2000 et CHATTERJEE (P.) et JEGANATHAN (P.) (dir.), Community, Gender and Violence, Subaltern Studies XI, Columbia UP, 2001. |
↑72 | L’usage du terme « tiers monde » traduisait à lui seul cet enchevêtrement car il désignait un ensemble d’Etats à la fois exploités économiquement et stigmatisés culturellement au regard des deux autres blocs dominants. |
↑73 | V. TEVOEDJRE (A.), Vaincre l’humiliation. Rapport de la Commission indépendante sur l’Afrique et les défis du troisième millénaire, Paris, Tumde, 2002, pp. 86 et ss. Cela étant, la question est évidemment beaucoup plus complexe car elle occulte la participation et donc la responsabilité des élites gouvernementales africaines au « mal développement de leurs populations. V. sur cette question, JOUANNET (E.), Qu’est-ce qu’une société internationale juste ?, op. cit, pp. 62 et ss et pp. 71 et ss. |
↑74 | V. par exemple à propos des régimes forestiers, la réunion de Rome du 15 juillet 2011 sous l’égide de la FAO à propos des régimes forestiers. Texte disponible sur http://www.fao.org/news/story/fr/item/81870/icode/. Plus généralement v. COUVEINHES-MATSUMOTO (D.), Les droits des peuples autochtones dans le cadre de l’exploitation des ressources naturelles en Amérique latine, Thèse Université Paris 1, 2013 (à paraître en 2015 dans la collection Logiques juridiques, L’Harmattan). |
↑75 | ETMEDAD, BOUDA, Crimes et réparations. L’Occident face à son passé colonial, Paris, A. Versailles, 2008, p. 130. |
↑76 | V. notamment de façon très éclairante GHÉRARI (H.), « Tendances récentes des préférences commerciales », Mélanges Madjid Benchikh, Paris, Pedone, 2010, pp. 465 et ss. et VIDCAR (C.), « Le traitement spécial et différentiel. Plaidoyer contre le système des préférences généralisées », Journal du droit international, 2005, pp. 319-339. |
↑77 | V. MARCHESIN (P.), « La revanche pour le Sud », Le monde, 30 oct. 2010, p. 19. |
↑78 | Cité par MARCHESIN (P.), loc. cit. |
↑79 | BESSIS (S.), L’Occident et les autres. Histoire d’une suprématie, op. cit, p. 121.V. NAHAVANDI (F.), Du développement à la globalisation. Histoire d’une stigmatisation, Bruxelles, Bruylant, 2002, passim. Ou cet autre exemple assez glaçant mis en exergue par l’anthropologue Akhil Gupta : le sous-développement lui-même est devenu une forme d’identité de certaines populations du tiers monde V. GUPTA (A.) Postcolonial Developments : Agriculture in the Making of Modern India, Duke UP, 1998, pp. 338 et ss. |
↑80 | Le terme introduit par Alain Pellet était celui de « droit social des Nations » (in PELLET (A.), Le droit international du développement, op. cit, p. 4.) Je préfère utiliser ici le terme générique de « droit social » car il ne concerne pas que les nations mais les individus, les groupes, les minorités, les femmes, les homosexuels etc. Il faut toutefois réfléchir sans doute à un autre terme car le rapprochement est trop vite fait avec la branche « droit social international » et entretient une certaine confusion. Ou alors penser à leur articulation. |
↑81 | Bien que ce soit une idée déjà ancienne (V. PELLET (A.) et SOREL (J-M.) (dir.), Le droit international du développement social et culturel, Paris, L’Hermés, 1997) elle ne commence vraiment à prendre un tour concret qu’avec le monde post-guerre froide. V. par exemple le Forum « Développement et culture » de la banque interaméricaine du développement en 1996 à Paris sur http://www.minefe.gouv.fr/fonds_documentaire/ notes_bleues/ nbb/nbb155/banque.htm et le site de l’UNESCO : culture et développement sur http://portal.unesco.org/ culture/fr/ev.php-URL. Pour son application concrète v. HERMET (G.), Développement et culture, Paris, Sciences Po, 2000, pour l’Amérique du Sud et AMOUZOU (E.), L’influence de la culture sur le développement en Afrique noire, Paris, L’Harmattan, 2009, pour l’Afrique. Mais aussi pour une analyse critique et les limites de cet exercice, v. SCHECH (S.) et HAGGIS (J.), Culture and Development : A Critical Introduction, Blackwell Publishers, 2000. |
↑82 | Rapport PNUD 2004, La liberté culturelle dans un monde diversifié. Texte disponible sur http://hdr.undp.org/en/media/hdr04_fr_complete.pdf |
↑83 | MEYER-BISCH (P.), « Les violations des droits culturels, facteur d’appauvrissement durable : pour une observation des pauvretés culturelles », in DECAUX (E.) et YOTOPOULO-MARANGOPOULOS (A.) (dir.), La pauvreté, un défi pour les droits de l’homme, op. cit, pp. 185 et ss. V. aussi WRESSINSKI (J.), Culture et grande pauvreté, Paris, Ed. Quart monde, 2004. |
↑84 | V. JOUANNET (E.), Qu’est-ce qu’une société internationale juste ?…, op. cit, spec. pp. 110 et ss. |
↑85 | V. par exemple à ce sujet DEROCHE (F.) et BURGER (J.), Les peuples autochtones et leur relation à la terre : un questionnement pour l’ordre mondial, Paris, L’Harmattan, 2008. |
↑86 | V. par exemple WARDEN-FERNANDEZ, (J.), “Indigenous Communities’ Rights and Mineral Development”, Journal of Energy and Natural Resources Law, vol. 23, n 4, 2005, pp. 417 et ss. |
↑87 | On met ici en exergue une tendance générale qui pourrait être évidemment nuancée sur certains contentieux. Je pense notamment aux rapports des commissions interaméricaine des droits de l’homme et africaine des droits de l’homme et des peuples qui ont fait prévaloir les droits des peuples autochtones comme pour les droits des indiens Yanomami au Brésil ou des Mayas au Belize ou dans l’affaire Ogoniland au Nigéria. V. LANFRANCHI (M-P.), Développement durable, op. cit, pp. 47 et ss. |
↑88 | V. COMBY (E.), « Quel type de coopération peut être engagé entre pays du Nord et pays du Sud ? », in RUIZ FABRI (H.) (dir.), La convention de l’UNESCO sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles. Premier bilan et défis juridiques, Paris, SLC, 2010, p. 276. |
↑89 | RUIZ FABRI (H.), « Conclusion à deux voix » in RUIZ FABRI (H.) (dir.), La convention de l’UNESCO sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles, op. cit, p. 276. |
↑90 | V. DUPUY (P-M.), L’unité de l’ordre juridique international, Cours général de droit international public, RCADI, T. 297, 2002, et plus spécialement s’agissant de l’insertion du droit commercial dans l’ordre international, pp. 450 et ss. V. aussi SIMON (D.), « Propos conclusifs », in ARLETTAZ (J.) et TINIERE (R.) (dir.), Fragmentation en droit, fragmentation du droit, Actes du Colloque de Grenoble 17 mai 2013, Paris, Ed. de l’Epitoge, 2014, pp. 152-166 et deux derniers ouvrages sur la question de l’unité et de la fragmentation dans une perspective critique : MARTINEAU (A-C.), Une analyse critique du débat sur la fragmentation du droit international, Thèse Université Paris 1, 2013, à paraître aux Ed. Larcier/Bruylant en 2015 et PROST (M.), Unitas Multiplex, Unités et fragmentations en droit international, Bruxelles, Larcier/Bruylant, 2013. |
↑91 | V. WALKER (N.), « Au-delà des conflits de compétence et des structures fondamentales : cartographie du désordre global des ordres normatifs » in RUIZ FABRI (H.) et ROSENFELD (M.) (dir.), Repenser le constitutionnalisme à l’âge de la mondialisation et de la privatisation, Paris, SLC, 2011, pp. 45-73. |
↑92 | V. BECK (U.), Pouvoirs et contre-pouvoirs à l’ère de la mondialisation, Paris, Flammarion, 2009. |
↑93 | V. pour la reconnaissance, l’approche et les mises en garde de HONNETH (A.), La société du mépris. Vers une nouvelle théorie critique, Paris, La découverte, 2006, pp. 245 et ss. et pp. 286 et ss. |
↑94 | V. PASSERON (J-C.) et BOUTIER (J.), Qu’est-ce qu’une discipline ? Paris Ed HESS, 2006. |
↑95 | Une équité qui est aussi, on l’a vu plus haut, intergénérationnelle et intragénérationnelle comme le proclament les textes relatifs au développement durable ; ce qui implique, la protection de l’environnement et du social dans le temps et l’espace. Du reste les textes plus spécifiques commencent de plus en plus à introduire directement cette notion d’équité en matière d’environnement et de social. |
↑96 | Mais aussi de façon liée, leurs valeurs « juridiques ». On peut ainsi prendre l’exemple de l’expansion du droit international de l’environnement sur le droit national des pays dits du « Sud ». Les processus de négociations contractuelles dans le cadre de projets tels que REDD+ (réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les pays en développement, et le rôle de la conservation, de la gestion durable des forêts et du renforcement des stocks de carbone forestiers dans les pays en développement) entre les différents acteurs mentionnés ci-dessus conduisent en général à la rédaction de contrats profondément imprégnés par le vocabulaire, les principes et la vision juridique très occidentalisée des organisations internationales (BM, FMI et ONU). |