Résumé
On a longtemps posé comme allant de soi que les technologies modernes de l’information et de la communication sont d’emblée par elles mêmes « éducatives », confondant ainsi un peu rapidement innovation technologique et innovation pédagogique. Tirant leçon des actions coordonnées de recherche et de développement conduites ces dernières années dans le contexte des Écoles normales, l’auteur, actuellement responsable de la mission MEDIA FORMATION à la direction des Écoles, montre ici que l’intégration de ces moyens nouveaux suppose tout un travail d’invention pédagogique et que les enseignants praticiens sont appelés aujourd’hui à dépasser leur rôle traditionnel de transmetteurs de connaissances pour devenir les technologues de leur propre pratique. De ce point de vue, le présent texte est à lire comme un plaidoyer en faveur de la constitution d’une véritable « technologie de l’action éducative », préalable à toute importation de « technologies » dans le champ de l’éducation.Les technologies modernes qu’on importe dans l’école n’ont de chance, en effet, de devenir authentiquement éducatives qu’à la condition d’inventer des « champs d’application » spécifiques, de créer des usages.
On a longtemps posé comme allant de soi que les technologies modernes de l’information et de la communication sont d’emblée par elles-mêmes « éducatives », confondant ainsi un peu rapidement innovation technologique et innovation pédagogique. Tirant leçon des actions coordonnées de recherche et de développement conduites ces dernières années dans le contexte des Écoles normales, l’auteur, actuellement responsable de la mission MEDIA FORMATION à la direction des Écoles, montre ici que l’intégration de ces moyens nouveaux suppose tout un travail d’invention pédagogique et que les enseignants praticiens sont appelés aujourd’hui à dépasser leur rôle traditionnel de transmetteurs de connaissances pour devenir les technologues de leur propre pratique. De ce point de vue, le présent texte est à lire comme un plaidoyer en faveur de la constitution d’une véritable « technologie de l’action éducative », préalable à toute importation de « technologies » dans le champ de l’éducation.
Les technologies modernes qu’on importe dans l’école n’ont de chance, en effet, de devenir authentiquement éducatives qu’à la condition d’inventer des « champs d’application » spécifiques, de créer des usages priés, d’élaborer des pédagogies nouvelles qui insèrent l’outil dans une pratique effective et qui lui confèrent, en définitive, cette « utilité » humaine qui n’est pas forcément inscrite dans son mode d’emploi technique.
Élaborer des pratiques nouvelles d’éducation, concevoir de nouveaux modes et dispositifs d’apprentissage, inventer de nouvelles manières d’enseigner, forger de nouveaux schémas de fonctionnement de l’action éducative et de la formation des maîtres, telle est donc la difficile mais
indispensable condition d’une réelle appropriation par l’école des technologies modernes de la communication.
Les technologies modernes de l’information et de la communication sont susceptibles d’apporter aux enseignants de nouveaux outils pour favoriser les apprentissages des élèves ; elles représentent aussi une possibilité nouvelle de repenser en profondeur les objectifs et les démarches d’éducation. En ce sens, ce qu’il est convenu d’appeler « Technologie éducative » comporte déjà dans sa logique propre une exigence de redéfinition du processus d’enseignement. Il n’est pas d’outil d’éducation qui ne produise des effets en retour sur l’éducateur et qui ne l’oblige à réviser ses conceptions et ses pratiques. Pour s’approprier à des fins éducatives le fonctionnement d’un outil, il faut savoir quelle fonction éducative il est susceptible de remplir, d’où la nécessité de savoir analyser et formaliser ce qu’on lui fait traiter. Vouloir intégrer les technologies modernes dans les pratiques éducatives conduit à redéfinir le rapport entre les moyens et les objectifs que ces pratiques présupposent, bref à redéfinirl’organisation même de l’acte éducatif.
Notre hypothèse est la suivante : l’intégration de la technologie à l’éducation implique la transformation des organisations et des pratiques éducatives. « Impliquer » doit être entendu ici dans son sens le pus fort ; cela signifie que l’intégration provoque la transformation mais qu’en même temps elle la suppose comme une condition nécessaire. Le système éducatif n’absorbera véritablement les technologies nouvelles qu’à la condition de se renouveler.
Cette logique de l’intégration transformatrice n’est donc que virtuelle : elle n’est pas deductive mais dialectique. Elle appelle, pour se développer, toute une stratégie de l’innovation fondée sur une certaine conception de l’animation pédagogique. En visant au renouvellement des pratiques enseignantes et des pratiques de formation, l’animation peut réunir les conditions nécessaires à l’intégration des nouveaux moyens de communication, à la mise en valeur de toutes leurs potentialités éducatives. Les moyens technologiques les plus modernes n’ont pas la capacité, en effet, de modifier par eux mêmes les dispositifs d’enseignement ou de formation dans lesquels on veut les introduire. Or il n’y aura d’intégration véritable des nouveaux médias qu’à la condition d’avoir inventé de nouvelles pédagogies capables de les intégrer, c’est-àdire des pédagogies dont les principes et les modes d’organisation auront été pensés en fonction des potentialités originales que ces moyens comportent.
UN ESSAI DE DÉFINITION
D’une façon générale la « technologie éducative » peut se définir comme l’intégration de la technologie à l’éducation. Il est certain que cette proposition peut revêtir des sens quelque peu différents selon les perspectives dans lesquelles on se situe (*).[1] L’expression même de « technologie (s) éducative (s) », employéeau singulier ou au pluriel, est source de nombreux malentendus. Nous distinguerons ici trois significations principales qui nous semblent correspondre non seulement à des approches différentes mais également à des niveaux différents d’intégration.
1) En un premier sens, la technologie éducative (TE1) désigne les divers outils, procédés, documents et supports matériels dont se servent les enseignants et les élèves à des fins pédagogiques. Il s’agit ici de l’introduction, dans un contexte éducatif, de toute une gamme de moyens et de dispositifs techniques susceptibles d’enrichir et de soutenir l’enseignement. On pense plus précisément, aujourd’hui, aux applications possibles des
nouvelles techniques d’enregistrement, de stockage, de traitement et de diffusion de l’information (audiovisuel, informatique, télématique). Ces moyens modernes de communication dont on pense qu’ils peuvent être mis au service de l’action pédagogique sont importés en milieu scolaire où ils connaissent différents modes d’utilisation, plus ou moins riches, plus ou moins pertinents : c’est ce qu’on peut appeler la« technologie dans l’éducation ».
2) En un deuxième sens, la technologie éducative (TE2) est l’étude des différentes façons d’agencer et de mobiliser l’ensemble des moyens dont dispose, à ses différents niveaux, un système éducatif pour réaliser au mieux lesbuts qu’il se fixe. On considère ici les institutions et les situations éducatives comme des « ensembles techniques », c’est-à-dire comme une combinaison spécifique de ressources humaines et matérielles dont il s’agit d’accroître la cohérence et l’efficacité en vue de la réalisation d’objectifs d’éducation déterminés. C’est ce qu’on peut nommer, à proprement parler la « technologie de l’éducation », qui se propose d’analyser et d’améliorer le fonctionnement global d’un système d’enseignement ou de formation, notamment en recherchant l’exploitation optimale des ressources disponibles.
La technologie éducative se définit ici précisément comme l’application d’une démarche technologique à l’éducation. Cette démarche, qui s’inspire de l’approche systémique, n’est pas simplement descriptive, elle ne se borne pas à dresser l’inventaire des ressources existantes, elle est également prescriptive, voire prospective. Elle peut favoriser l’entrée des innovations technologiques dans le système éducatif en y créant les conditions d’harmonisation nécessaires à leur acclimatation et à leur développement. A l’inverse de la précédente approche, la technologie éducative, entendue dans ce sens, invite à une vision d’ensemble : tout moyen technique nouveau implique la réorganisation du système dans lequel il s’insère, à quelque niveau que l’on se place. On voit qu’il ne s’agit plus ici de partir d’un matériel nouveau à introduire dans un cadre de fonctionnement qui n’est pas lui-même remis en cause, mais de fixer un résultat à atteindre par rapport auquel seront combinés entre eux un certain nombre de moyens dont on dispose.
3) En un troisième sens, la technologie éducative est une certaine conception de l’action pédagogique. Après la technologie des moyens mis au service de l’éducation(TE1), après la technologie des organisations éducatives (TE2) dans lesquelles ces moyens doivent être insérés, voici la technologie éducative proprement dite, c’est-àdire la technologie des processus d’apprentissage (TE3).
Il faut en effet concevoir que l’éducation elle même est une technologie, que l’enseignant, que le formateur sont des technologues de l’apprentissage, des constructeurs de situations éducatives.Instruire, c’est construire un environnement éducatif pour les élèves, créer des dispositifs qui ont la propriété non pas d’ « enseigner » mais de faire apprendre. La conduite pédagogique responsable responsable des objectifs qu’elle se fixe et des moyens conséquents qu’elle se donne pour les réaliser n’est pas une conduite magique : une intention éducative conçue dans l’esprit du maître, si claire et louable fut-elle, ne saurait suffire à produire un résultat certain chez l’élève par la seule magie du verbe ; la présentation d’une information n’est pas l’assimilation de cette information. D’un projet pédagogique à sa réalisation, il y a tout un chemin à faire ; et c’est le chemin de l’élève, non celui de l’enseignant. Quelle que soit la valeur des contenus enseignés et des démarches d’enseignement, les parcours d’apprentissage ne peuvent être faits que par les élèves eux-mêmes, et par chacun des élèves pour soi-même.
Les résultats de l’élève ne se déduisent pas de la maîtrise des contenus par l’enseignant. Il ne suffit donc pas de savoir pour savoir transmettre. La transmission du savoir passe par des relais technologiques, même sans l’assistance de supports audiovisuels ou de machines à enseigner. A proprement parler, le savoir ne se transmet pas, il s’acquiert, il se construit. Avec les moyens dont il dispose, l’enseignant ne peut qu’instituer des contextes d’apprentissage plus ou moins fonctionnels, plus ou moins opératoires. La technicité de l’enseignant ne réside pas dans une logique de l’exposition didactique, mais dans la mise en œuvre de situations autorisant le cheminement et la régulation des apprentissages de l’élève. Vouloir intégrer les « médias » aux activités de la classe implique de concevoir la pédagogie en termes de médiations. D’une part le capital culturel des
connaissances et des valeurs d’une société, d’autre part l’expérience d’un individu qui a ses manières singulières de voir, de sentir, de raisonner : l’éducateur doit créer des espaces intermédiaires. La pédagogie est la technologie des médiateurs entre la théorie et la pratique.
TRANSFORMER L’ÉDUCATION
Ces trois niveaux de définition de la technologie éducative représentent des approches et des conceptions différentes de l’introduction du changement en éducation.
1) Au premier niveau (TE1), on se préoccupe surtout de la modernisation de l’outillage pédagogique, ne seraitce que pour mettre l’école au diapason de la technologie qui est hors de l’école. On ne recherche pas, à proprement parler, la transformation de l’enseignement, on peut seulement espérer qu’elle viendra d’elle même, progressivement, comme un effet induit par la présence matérielle des techniques nouvelles et comme une réponse à
l’appel pressant de la modernité.
Cette première approche de la technologie éducative est doublement insuffisante. Elle correspond à un niveau minimal d’intégration qui ne prend en compte, ni les contextes institutionnels ni les méthodologies éducatives. Les expériences d’introduction ponctuelle de l’audiovisuel dans l’enseignement ont montré qu’il ne sert pas à grandchose d’introduire des moyens nouveaux dans un système dont les contraintes d’organisation restent inchangées et dont les capacités d’assimilation sont vite saturées. On sait aussi que la plupart des problèmes posés par l’emploi des techniques audiovisuelles dans une démarche pédagogique ne sont pas des problèmes techniques mais des problèmes de pédagogie. Les sous utilisations qu’on dénonce ont souvent pour origine l’absence de compatibilité entre le type d’enseignement pratiqué et l’outil qu’on s’efforce d’y introduire. Qu’il s’agisse de contextes ou de démarches pédagogiques, l’erreur est, de toute façon, d’avoir voulu introduire plus de technologies
que le système éducatif ne peut en absorber dans son mode de fonctionnement actuel : rejets, difficultés d’emploi, matériels en souffrance, inadaptation des locaux, pauvreté et marginalité des utilisations sont les conséquences évidentes d’une conception étroitement techniciste de l’innovation.
2) Au second niveau (TE2), on développe une attitude plus conséquente guidée par une exigence de rigueur et d’efficacité. Cette seconde approche de la technologie éducative est une approche combinatoire qui traduit le souci d’intégrer les moyens dans des ensembles fonctionnels cohérents. Comme tout système, l’école est régie par des lois internes d’équilibre qui opposent résistance au changement. On ne peut insérer de nouveaux moyens à l’intérieur de cadres et de schémas de fonctionnement qui resteraient inchangés. La transformation est donc, de ce point de vue, une nécessité. Il ne saurait y avoir d’introduction additionnelle ; toute innovation est nécessairement restructurante. Il faut chercher à comprendre
pourquoi l’école a des difficultés à « digérer » les nouvelles technologies de la communication. Introduire dans l’école ces nouvelles technologies, avec la volonté d’en faire une composante à part entière de l’éducation, oblige donc à repenser Técole et ses traditions, son architecture, ses matériels, ses règles de fonctionnement, ses aménagements horaires, ses programmes, ses méthodes, ses modes et ses critères d’évaluation, bref l’ensemble de ses organisations spatiales et temporelles ainsi que les profils et les fonctions de ses personnels.
3) Au troisième niveau (TE3), la pédagogie peut se concevoir comme étant elle-même un processus intégrateur de technologies. Cette approche opère un renversement des perspectives en faisant de la technologie non pas ce qui doit s’introduire peu à peu dans l’enseignement pour y apporter des améliorations instrumentales, mais ce qui permet, par l’analyse et la redéfinition des pratiques éducatives, de déterminer les dispositifs d’enseignement et les circuits d’apprentissage susceptibles d’être explicités, formalisés, matérialisés, en un mot d’être technologisés.
De ce point de vue, la technologie éducative n’a pas à être importée de toutes pièces en pédagogie : elle y est déjà, comme une technologie des processus et des modes opératoires d’apprentissage.
Cependant, les pratiques pédagogiques actuelles sont encore de très mauvaises technologies, non pas tant à cause d’un outillage insuffisant ou mal approprié, mais en raison du caractère inconséquent et inorganisé de leurs démarches. Le pédagogue doit être préparé à devenir le technologue de sa propre pratique. C’est la transformation progressive des pratiques d’enseignement qui déterminera la place et la fonction qu’y pourront prendre les « machines à enseigner ». Avoir recours à de nouveaux langages, vouloir exploiter toutes les ressources éducatives que recèle l’image, présupposent que l’enseignement ne reste pas une activité de type essentiellement verbal. L’introduction du magnétophone dans la classe n’a de sens qu’en fonction des activités d’écoute et d’expression, que par rapport aux situations de communication qu’institue l’enseignant. Les possibilités qu’offre le
magnétoscope dans la formation des enseignants ne sont pleinement mises à profit que dans une conception qui centre la formation sur la construction et l’analyse, par les enseignants euxmêmes, de leurs propres essais pédagogiques. L’usage de l’ordinateur requiert la formalisation des processus d’enseignement et d’apprentissage qu’on veut lui faire gérer. La rénovation de la pédagogie est donc le passage obligé de l’innovation technologique.
C’est seulement par l’introduction de la rigueur et de la rationalité dans le travail pédagogique que l’on peut espérer y intégrer peu à peu les apports des technologies modernes de l’information et de la communication. On voit que les conditions réelles d’intégration de la technologie à l’éducation ne se trouvent pas dans le degré de raffinement technologique des outils proposés mais dans la conception de nouvelles pratiques qui donnent toute leur place aux outils qu’on y introduit. La pédagogie n’est susceptible d’être technologisée qu’à la condition de la concevoir comme une activité
essentiellement technologique. C’est parce qu’il est technologue que le pédagogue peut être appelé à mettre en œuvre des technologies utilisant différents supports, différents langages ; c’est parce qu’il est technologue qu’il doit savoir mettre en œuvre les organisations de moyens et les séquences d’action les mieux adaptées au but recherché. Concevoir l’éducation comme une technologie de l’apprentissage humain, c’est se donner les meilleures chances d’intégrer les possibilités offertes par les nouvelles technologies de la communication (TE1) conformément aux exigences de cohérence et de rationalité qu’impose la technologie de l’organisation de l’éducation (TE2).
DE NOUVELLES PÉDAGOGIES
La conception selon laquelle la démarche pédagogique est elle-même une démarche technologique implique de nouvelles définitions de fonctions et de profils d’enseignants. Le rôle de la technologie éducative ne se borne pas, selon nous, à fournir des supports didactiques nouveaux, ni même à définir les conditions optimales de leur utilisation. Telle que nous l’avons définie, la technologie éducative ne consiste pas seulement à proposer aux
enseignants un éventail plus riche de modes opératoires, elle est surtout, et fondamentalement, une nouvelle façon de penser la pédagogie et, par voie de conséquence, la formation des maîtres.
Première proposition
Penser la pédagogie en termes de technologie signifie d’abord un déplacement de la situation d’enseignement à la situation d’apprentissage. Il faut définir l’acte pédagogique du point de vue du résultat à atteindre, c’est-à-dire du point de vue de l’élève qui apprend et non du point de vue de l’enseignant, dont le rôle se limite à construire les conditions de réussite des élèves, à créer les contextes qui favorisent le développement de leur
personnalité dans toutes ses composantes, cognitives, sensorielles, psychomotrices, affectives et sociales. Il y a autant de cheminements d’apprentissage qu’il y a d’élèves. L’individualisation nécessaire des contextes d’apprentissage est donc un corollaire de la précédente proposition.
Un autre corollaire est que l’apprentissage est une construction active et originale, une structuration progressive de la personnalité : l’enfant n’assimile les apports culturels et les connaissanes qu’en les réorganisant selon ses schémas personnels d’appréhension, d’interprétation et de raisonnement. Il doit pouvoir utiliser, pour ce faire, l’éventail le plus diversifié possible de langages et de modes d’expression, sans se voir imposer a priori une seule manière de découper et de codifier son expérience.
Deuxième proposition
Une autre conséquence principale de cette approche technologique est de tenter d’introduire par rapport aux pratiques et aux situations éducatives une attitude expérimentale. Concepteur d’une action éducative, le pédagogue doit être à même d’en évaluer les résultats : les démarches et procédures qu’il met en œuvre sont autant d’hypothèses qu’il faut soumettre à la sanction du réel. Ce n’est pas seulement au terme de son travail qu’il lui faut mesurer le chemin parcouru par les élèves, mais aussi dans le déroulement même de l’action de manière à en contrôler constamment la progression et à y apporter les modifications nécessaires. En tant que technologue, l’enseignant doit s’efforcer de se situer dans le domaine de l’observable, de l’opérable, de l’évaluable : parmi tout un ensemble de fonctions complexes, il assure des tâches qui ne sont pas différentes de celles que la technologie éducative moderne pourra un jour prendre à sa charge.
— Un corollaire de cette proposition est que le pédagogue doit entretenir par rapport à sa pratique et aux processus d’apprentissage des élèves une attitude constante de recherche et d’invention. Il ne reproduit pas des procédés éprouvés, mais soumet patiemment à l’expérience toute la combinatoire des hypothèses d’action que son imagination technologique doit concevoir.
— On ajoutera un autre corollaire selon lequel le pédagogue doit s’efforcer de construire des dispositifs dans lesquels les élèves auront eux-mêmes un rôle d’autorégulation à jouer par rapport à leurs propres apprentissages, des « dispositifs réfléchissants » permettant de prendre du recul et d’analyser l’activité dans laquelle onse trouve soi-même impliqué. L’élève doit pouvoir lui aussi avoir une attitude expérimentale par rapport à sa
propre action.
Troisième proposition
La technologie éducative introduit l’idée d’une pédagogie communicable, d’une pédagogie susceptible d’être mise en commun, échangée, partagée. La troisième conséquence de cette approche technologique est de rendre nécessaire la constitution d’équipes enseignantes avec des fonctions différenciées. C’est l’idée d’un éducateur collectif, d’une communauté éducative, d’une institution fonctionnant en « aire ouverte ». De ce point de vue, la technologie éducative renverse complètement la perspective de la pédagogie traditionnelle : à l’image, encore actuelle, d’un maître isolé enseignant dans la clôture d’une classe à un ensemble indifférencié d’élèves, elle substitue l’idée plus fonctionnelle de la mise en commun des ressources éducatives, tant humaines que matérielles, permettant l’individualisation des apprentissages.
— Devant travailler en équipe, les maîtres auront à assumer des fonctions multiples et complémentaires : organisateurs, guides, conseillers, animateurs, producteurs, évaluateurs, coordonnateurs… Il faut que leur formation les y prépare.
— Par ailleurs, les élèves constituent euxmêmes des sources d’interaction réciproque favorisantl’apprentissage de la communication sociale, ils représentent les uns pour les autres des ressources mutuelles. La pédagogie de groupe apparaît comme un moyen essentiel qui a sa place dans l’ensemble collectif des ressources éducatives.
Ainsi, l’une des lignes de développement de la technologie éducative aboutit à cette idée de constituer au sein de l’école des« systèmes mum-média
d’autoapprentissage», c’est-à-dire des systèmes ouverts et coordonnés de ressources éducatives multiples qui incluraient non seulement les enseignants avec leurs compétences spécifiques, non seulement les élèves euxmêmes avec leur expérience et leur personnalité propre, mais aussi les supports d’enseignement les plus divers, les mémoires documentaires et les machines.
LA FORMATION DES MAITRES
Avec le développement de la technologie éducative, la profession enseignante se modifie. Des rôles nouveaux apparaissent, de nouvelles compétences sont nécessaires. Il importe que la formation des maîtres prenne en compte cette évolution en incluant dans ses programmes comme dans ses méthodes la dimension proprement technologique de l’éducation. Il est nécessaire que les enseignants acquièrent une réelle technicité que qui ne se borne pas à savoir utiliser des instruments et des documents ; il faut aussi qu’ils apprennent à concevoir et à mettre en œuvre des situations éducatives complexes dans lesquelles ces outils interviennent de multiples façons. La formation des maîtres doit être une formation pleinement technologique et non pas seulement d’un côté notionnelle et de l’autre instrumentale. Par delà la connaissance des matériels et des langages, une « formation à l’audiovisuel » doit être aussi, d’une façon plus large, une formation à la communication, une formation à la construction de situations, une formation à l’opérationalisation des objectifs et des démarches pédagogiques, une formation à l’analyse des comportements et mécanismes d’apprentissage, une formation aux procédures d’évaluation et aux méthodologies de recherche, une formation enfin à la concertation et au travail
d’équipe. Une telle formation devrait faire de l’audiovisuel non pas un « supplément à la pédagogie », mais une composante à part entière du processus pédagogique.
De ce point de vue, la technologie éducative ne saurait faire l’objet d’une formation parcellaire et marginalisée. Elle ne doit pas venir se juxtaposer aux contenus de formation comme un élément surnuméraire qu’il faut bien inclure par souci de modernisme. Elle représente au contraire un puissant facteur de synthèse et de mobilisation des connaissances disciplinaires au service d’une fin pratique ; elle est la logique interne qui donne
cohérence aux différentes parties de la formation en les resituant dans la perspective convergente de leur mise en œuvre dans une situation réelle d’éducation. Dans la formation des maîtres, la technologie éducative a vocation d’assurer l’intégration dynamique des contenus théoriques dans la pratique pédagogique.
MISE EN PERSPECTIVE
Cette conception de la technologie éducative comme « foyer » de la pratique pédagogique et de la formation des maîtres est, semble-t-il, loin d’être une idée communément partagée. Le plus souvent, on en reste à une « technologie des outils pédagogiques possibles » (TE1), c’est-à-dire à l’existence d’une riche panoplie de moyens dont on se demande à quoi ils pourraient bien servir : les « technologies nouvelles » apparaissent ainsi dans le champ éducatif comme autant de réponses nombreuses et détaillées à des questions qu’on ne s’est jamais posées.
Mais l’existence même de ces moyens est révélatrice des modes actuels de fonctionnement de la pratique pédagogique. L’outil audiovisuel pose problème, il remet en question les schémas traditionnels de la pédagogie, il modifie les relations entre le maître et les élèves, il instaure de nouveaux réseaux de communication, de nouveaux accès à l’information, de nouveaux rapports au savoir. Et que dire de l’outil informatique avec ses possibilités d’interaction et de régulation continue des apprentissages ? Le maître vat il pouvoir, dans l’enceinte de sa classe, résoudre tous ces problèmes, va-t-il pouvoir mettre à profit toutes ces possibilités nouvelles qui se présentent à lui ?
Ceci nous oblige à passer à un autre niveau d’approche, à un autre niveau d’intégration, celui de la « mise en contexte ». C’est alors que s’élabore la « technologie des ensembles pédagogiques possibles » (TE2), une technologie multi-média qui en vient à concevoir le maître comme une ressource parmi d’autres, comme un « média » parmi les autres. Ceci n’est qu’une étape, celle qui consiste à réorganiser le système pour obtenir un agencement plus rationnel des moyens disponibles, compte tenu de leurs propriétés et des contraintes inhérentes au système luimême.
Une fois située la place de l’outil dans un contexte qui l’englobe, le problème reste de définir les fonctions pédagogiques spécifiques qu’il y exerce. Un autre niveaud’approche est alors nécessaire, celui de la « mise en processus ». L’outil à intégrer devient analyseur de l’acte pédagogique, un prisme qui en décompose les moments et les mécanismes. Il oblige l’enseignant à élaborer une « technologie des processus pédagogiques possibles »(TE3). La démarche d’enseignement doit s’expliciter, se médiatiser, s’opérationaliser ; elle doit se concevoir et se constituer comme algorithme des chemins d’apprentissage. La technologie éducative n’est plus ici le support, ni le contexte, elle est au cœur même de l’acte pédagogique, comme un pouvoir d’agir qui se réfléchit sans cesse sur lui-même, comme une causalité qui analyse ses propres mécanismes. Elle est la logique interne d’une action qui cherche constamment à mieux réaliser ses buts, à mieux assurer sa démarche, à mieux contrôler ses modes d’effectuation.
La technologie éducative ne consiste pas à offrir aux enseignants une boîte à outils. Elle est une exigence nouvelle par rapport à l’éducation, un ensemble de principes pour la conduite pédagogique, un ensemble de questions polémiques qui obligent à redéfinir constamment ce que l’on fait quand on enseigne. La première de ses interpellations est d’obliger les enseignants à s’expliquer, c’està-dire à cerner et définir clairement leurs objectifs, à formaliser leurs démarches, à évaluer leurs résultats. Elle est une exigence de rigueur et d’explicitation qui appelle les enseignants à un redoublement réflexif sur leurs propres pratiques.
Mais le regard porté sur soi ne suffit pas, il y faut aussi le geste novateur sans cesse recommencé. La technologie éducative appelle les enseignants à développer par rapport à leurs pratiques une attitude permanente de recherche et d’innovation. Elle n’est pas un savoir constitué sur les outils et les techniques du métier d’éducateur mais une démarche créatrice de situations de communication, une élaboration continue de « techniques
éducatives nouvelles », une liberté d’invention contrôlée. Par le questionnement qu’elle introduit, par la force de renouvellement qu’elle représente, la technologie éducative apparaît sans conteste comme un puissant facteur d’animation et de rénovation des pratiques pédagogiques.
CONVERGENCES…
On nous dit qu’il faut intégrer les technologies nouvelles de la communication pour transformer l’éducation. Mais, tout aussi bien, il nous semble qu’il faut commencer par transformer l’éducation pour qu’il soit possible d’y intégrer ces technologies. Au bout du compte, entre éducation et technologie, comment organiser le rendezvous ? L’éducation est cette activité éminemment humaine qui a pour finalité de perpétuer toute la richesse du passé des hommes ; les technologies nouvelles, avec toute la richesse de leurs potentialités encore inexplorées, préfigurent les valeurs du futur. Y a-t-il une rencontre possible ? Si l’on veut inscrire les technologies nouvelles dans le prolongement de notre héritage culturel, dans nos
modes de pensée, dans nos façons d’agir, il faut d’abord en faire une dimension essentielle de notre éducation, et, pour commencer, transformer nos manières mêmes d’éduquer, repenser nos modes d’enseignement et de formation, réviser nos conceptions de l’apprentissage à la lumière de ce que nous apprennent les machines sur nous mêmes, sur nos propres façons de percevoir, de traiter et de communiquer l’information. L’éducation et la
technologie, n’est-ce pas finalement cette passionnante rencontre « en miroir » du passé et de l’avenir des hommes ?
Tiré du texte de: Gérard Mottet
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Mottet Gérard. La technologie éducative. In: Revue française de pédagogie, volume 63, 1983. pp. 7-12;
doi : https://doi.org/10.3406/rfp.1983.1887
https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1983_num_63_1_1887
References
↑1 | L’expression même de « technologie (s) éducative (s) », employéeau singulier ou au pluriel, est source de nombreux malentendus. |
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