L’écologie a fait irruption dans les écoles d’architecture comme dans l’ensemble de la société. Au-delà de toute adhésion personnelle à ces préoccupations environnementales, c’est le moment d’examiner ce que cette dernière apporte aux études d’architecture et, plus particulièrement, dans un établissement d’enseignement supérieur situé en « région ».
Commençons par resituer l’irruption de la problématique écologique dans la société française, dans le monde de l’architecture sans oublier l’école nationale supérieure d’architecture de Bretagne. J’insisterai ensuite sur ce que l’écologie apporte aux études d’architecture, sous trois angles : celui de la technique, celui des usagers et, enfin, son inscription dans une réalité locale ou régionale. Ces analyses, plus empiriques et prospectives que fondées sur des études en cours, mobilisent un point de vue singulier, celui d’un sociologue enseignant en école d’architecture, discutant et apprenant de ses étudiants, tout en menant des recherches sur l’architecture médiatisée ou l’identité professionnelle des architectes.
Irruption ou Construction de la question Ecologique
Comment la question écologique fait irruption dans le paysage politique et médiatique français et quelles sont ses implications dans le monde de l’architecture ?
En débat depuis des décennies1, la question du développement durable connaît, en France, un regain spectaculaire à la suite de la campagne présidentielle de 2007. La prise en charge de la question environnementale s’est traduite dans la conversion du ministère de l’Equipement en un ministère de l’Ecologie, du Développement et % des émissions de gaz à effet de serre »3. Dans ce mouvement, la médiatisation de cette question joue un rôle important et se traduit par la publication de dossiers, la création de rubriques, de numéros spéciaux ou de nouveaux titres, que ce soit dans la presse grand public(généraliste ou spécialisée4) ou dans la presse professionnelle5. La montée en puissance de cette thématique dans les médias professionnels reflèteet agit sur l’affichage des compétences des architectes et sur leurs valeurs.
Bien que ne relevant pas directement du « grand » ministère de l’écologie, l’enseignement de l’architecture se trouve interpellé et confrontéà cette irruption de l’écologie. A la poursuite de ce mouvement sociétal, les institutions en charge de la formation des architectes cherchentà mesurer, à encadrer et à susciter diverses initiatives pédagogiques ou de recherche allant dans cette direction. On pourrait citerrapidement la constitution d’un réseau d’enseignement du développement soutenable dans les écoles d’architecture dès 2006, l’apparition de cette rubrique dans les grilles d’évaluation des programmes pédagogiques en 2007 ou, sur le plan de la recherche, le lancement d’un certain nombre de consultations portant sur ces questions. toute cette agitation institutionnelle ne doit pas nous faire oublier qu’un certain nombre d’enseignants des écoles d’architecture n’ont pas attendu cette irruption pour se préoccuper des questions environnementales et les diffuser dans leurs pratiques pédagogiques ou de recherche6. Comme souvent, les précurseurs dans ce domaine peuvent être oubliés ou absentslorsque cette problématique revient au premier plan.
Cette impression d’irruption soudaine renforcée par le fait de ne pas tenir compte des antécédents, risque d’alimenter des réactions de rejet. Dansce cas, il est très facile de considérer le développement durable comme une mode ou comme une préoccupation institutionnelle coupée de laréalité. Ce processus peut ressembler aux réactions qu’a suscité la norme HqE, stigmatisée comme une démarche tatillonne etartificiellement plaquée sur la logique de projet, avant d’être définitivement qualifiée de « fasciste » par Rudy Ricciotti7. Sans allerjusqu’à ces extrémités, l’injonction écologique adressée aux architectes risque à tout moment de rejoindre le catalogue des bonnesquestions invalidées (comme l’urbain, le patrimoine ou le paysage, par exemple), parce qu’elles ont déjà été envisagées dans les doctrinesou pratiques canoniques de l’architecture. Ainsi, les architectes peuvent être fondés de penser qu’ils font du développement durable depuis toujours, refusant la question qui leur est imposée par les institutions et les médias.
Sans vouloir faire un procès d’intention ni une analyse exhaustive du positionnement des architectes et des enseignants vis-à-vis du développement durable, il semble indéniable qu’hormis quelques précurseurs redécouverts ici et là, cette nouvelle préoccupation ne mobilise pas encore la communauté enseignante, pas plus qu’elle ne révolutionne la « Construction durable » diffusée par Le moniteur : http://www.lemoniteur.fr/newsletter/construction-durable/.
Notes et références.
- Chronologie dans : S. Brunel, Le développement durable, Paris, Puf, qSJ, 2004.
- Voir le site consacré à cet événement : http://www.legrenelle-environnement.fr/grenelle- environnement.
- Selon un rapport datant de 2004 : http://www.ecologie.gouv.fr/Chapitre-Batiment-et- ecohabitat-du.html.
- quelques titres de la presse grand public spécialisée de la maison : maison Nature, Habitat Naturel, Future maison, maison & Bois, maison Sans oublier Architectures àVivre qui consacre une large part de ses titres à l’architecture écologique ou durable.
- titres de la presse professionnelle de l’architecture : Architecture & Bois, Ou encore, la newsletter
- Je pense notamment à Georges Alexandroff ou même à David Georges Emmerich, enseignants à l’Ensa Paris – La Villette mais il serait possible d’en citer d’autres.
- Rudy Ricciotti, HqE, marseille, transbordeurs,
- Voir l’article d’Eric Sueur qui résume son mémoire de master (E. Sueur, Construire et Habiter écologique, pour qui ? Pourquoi, Comment ?, Rennes, ENSAB, février 2008).
- Selon environ 20-25 % des étudiants de première année (octobre 2008) exprimant les principales motivations à vouloir entreprendre des études d’architecture au cours d’un entretien collectif, plutôt qu’une enquête produisant des résultats représentatifs.
- G. Ringon, Histoire du métier d’architecte en France, Paris, Puf / qSJ, 1997.
Tiré du texte de: Christopher Camus