Représentations graphiques et intelligence artificielle

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Résumé
Nous discuterons, dans cet article, des représentations graphiques en intelligence artificielle. Comme pour d’autres domaines, les représentations graphiques permettent l’expression, informelle, des données, structures de programmes ou de systèmes. Nous développerons toutefois plus avant ce qui est sans doute spécifique de l’intelligence artificielle, à savoir le fait que certains types de représentations graphiques sont “théorisés” afin de pouvoir effectuer interprétations et calculs. Réseaux sémantiques et graphes conceptuels serviront de support à notre propos. Nous indiquerons enfin l’état actuel des formalisations et les difficultés faisant l’objet de recherches actuelles.

1. INTRODUCTION

La représentation des connaissances, en particulier des connaissances graphiques, est un problème central en intelligence artificielle. Parmi les questions essentielles auxquelles les chercheurs se trouvent confrontés, signalons le choix du formalisme de représentation, les méthodes et moyens d’accès aux connaissances, la modification et la mise à jour de ces connaissances. Ces chercheurs se font fort de pouvoir représenter des connaissances d’experts ou des connaissances de sens commun, voire des deux, afin de développer des systèmes dits “intelligents”. Les graphiques sont alors utilisés non seulement comme outil explicatif, à l’instar de ce qui se fait dans d’autres disciplines scientifiques et techniques, mais encore comme modèle des théories proposées. Pour que la correspondance graphisme/système soit parfaite, une formalisation précise de la représentation graphique adoptée est nécessaire.
Après avoir rappelé les cadres dans lesquels le problème de la représentation des connaissances se pose, nous indiquerons les capacités actuelles des systèmes d’intelligence artificielle, et en particulier les limitations (drastiques sur certains aspects) de ces systèmes à travers deux familles significatives de représentations graphiques utilisées en intelligence artificielle, les réseaux sémantiques et les graphes conceptuels.
La représentation des connaissances de sens commun est indispensable dans de nombreux domaines relevant de l’intelligence artificielle. C’est le cas en particulier en compréhension de textes, dans les systèmes de dialogue, et dans les systèmes de robotique… Les systèmes intégrant des connaissances d’experts sont généralement conçus dans un but d’aide, de simulation, de diagnostic ou plus simplement de traitement sur des domaines restreints (médecine, gestion, processus industriels, etc.). Les graphiques constituent une part appréciable, parce qu’explicative, des données servant à la description de tels domaines : il suffit d’ouvrir un livre technique ou scientifique pour s’en convaincre, les graphiques permettent dans une certaine mesure à l’expert d’extraire la structure essentielle d’un jargon technique.
La boucle se referme lorsque l’on sait que le graphique est aussi un outil commode pour représenter la structure de programmes ou l’architecture de projets relevant de l’intelligence artificielle, et plus généralement de l’Informatique. Ceux-ci peuvent en effet être d’une taille telle qu’une description  uniquement formelle, littérale ou algorithmique en rend la maintenance ou la réutilisabilité rédhibitoire.

La figure 1 est ainsi une représentation graphique de l’architecture du contrôleur d’un système informatique. Il est notable de constater que le graphique est censé se suffire à lui-même : les différents types de traits et de boîtes ne sont pas définis dans le texte attenant, ce procédé est constaté de manière similaire dans d’autres domaines (cf. autres articles de ce numéro).Nous nous restreindrons ici à ce qui est caractéristique de l’intelligence artifielle

Dans la suite de cet article, nous focaliserons notre attention sur les représentations graphiques servant de modèles aux systèmes d’intelligence artificielle. Nous rappelerons les objectifs de telles représentations et les problèmes posés par la contrainte d’un traitement algorithmique. “L’intelligence artificielle cherche à comprendre les mécanismes de compréhension” (Farreny & Ghallab, 1987). Cet objectif ambitieux impose une double contrainte. D’une part, le champ d’investigation de l’intelligence artificielle englobe des domaines où la formalisation reste fragmentaire. Ainsi, et malgré des travaux fort nombreux, la linguistique résiste encore à une formalisation suffisante. Or ces connaissances ne peuvent être utilisables que dans la mesure où est définie une notation ayant une sémantique claire. Il est en effet essentiel que les modèles soient suffisamment précis pour admettre une mathématisation complète. Comme nous l’avons noté précédemment, les légendes des descriptions graphiques sont elles aussi trop souvent fragiles : ce qui d’un côté indique sans conteste une puissance explicative devient incompatible avec la notion
de description formelle. D’autre part, la formalisation proposée doit permettre un calcul effectif standard. Le problème et les propriétés des données et mécanismes d’inférence sont censés être représentables sur machine. Or les problèmes même intuitivement très simples soit apparaissent trop complexes à mettre en oeuvre, soit admettent des représentations de nature non algorithmique (Schmidt-SchauB, 1989).

2. REMARQUES PRÉALABLES SUR LA REPRÉSENTATION DES CONNAISSANCES

Rappelons que l’ensemble des connaissances caractérisant un domaine (le monde) est défini par un ensemble d’objets (individus, concepts…) et un ensemble de relations sur ces objets. La valeur de ces relations permet de préciser Vétat du monde. La spécification est complétée par la donnée d’un seonnste mcobulrea mdem etnrta nusftiolrismésa.t ions entre états. Deux schémas de représentation
– La représentation graphique est la caractérisation naturelle : celle-ci est définie par des noeuds et des traits entre noeuds. Toutefois le nombre et la nature des relations entre objets peuvent être trop importants pour que la représentation graphique soit lisible. Les noeuds représentent un ensemble d’objets (concepts, individus, situations, états…), les liens entre noeuds sont typés et définissent les relations (appelées quelquefois rôles ou attributs). Le type du lien peut être représenté graphiquement (utilisation de traits ou de flèches, en gras ou pointillé, etc.) ; là encore, si le nombre de types de liens

est important, les types sont dénotés par des symboles associés aux relations : c’est le cas dans la figure 2 où le mot associé à un carré sur une flèche détermine le type du lien. Le graphisme peut être planaire (réseaux sémantiques) ou structuré (réseaux partitionnés, graphes conceptuels). Les mécanismes de parcours du graphisme indiquent les déductions potentielles.

– La représentation logique (ou algébrique, ou algorithmique) est la seule permettant une justification du système calculatoire développé (logiciels) au travers des propriétés liant la syntaxe (du calcul) à la sémantique (de la représentation) : un système doit être complet, i.e. tout ce que l’on peut montrer doit être prouvable, il doit aussi être bien-fondé, i.e. ce que l’on peut prouver doit être vrai. Les mécanismes inférentiels (implication, calcul de forme normale, calcul algorithmique) sont les pendants des mécanismes de parcours de graphe, quand une représentation graphique existe. Dans ce cas, la représentation graphique apparaît comme un modèle de la description logique, il est alors nécessaire de (savoir) vérifier les propriétés précédentes.

Avant de décrire plus avant réseaux sémantiques et graphes conceptuels, il convient de noter que la représentation graphique des connaissances masque des problèmes peu ou pas du tout résolus en représentation logique. En conséquence, la représentation logique d’un problème ne correspond qu’à un fragment de la connaissance implicitement représentée dans un graphisme. D’un point de vue logique, les différents symboles utilisés (types de relations,mots) n’ont que le sens défini par une axiomatique : le calcul est transparent à la notation choisie. Ce n’est pas toujours le cas dans une représentation graphique où on peut implicitement donner aux mots un sens qui dépasse le cadre graphique dans lequel ceux-ci ont été utilisés. La connaissance manipulée, y compris sur un domaine restreint, est vaste. Son organisation est donc extrêmement importante. Or la pertinence de l’organisation des données est un facteur essentiel à la pertinence du modèle de représentation choisi. Les
réseaux sémantiques (par leurs liens “Sorte-de” : un chien est une sorte d’animal par exemple) intègrent une organisation hiérarchique. La représentation
des connaissances au travers de la description des liens entre objets ne rend pas compte des méta-connaissances en jeu (en particulier au niveau graphique) : comment en effet représenter les connaissances heuristiques d’exploitation des connaissances, les connaissances procédurales d’organisation, de ré-organisation, de mise à jour, ou de modalité sur ces connaissances (négation, connaissances générales, exceptionnelles, etc.) ? Ces questions préoccupent depuis quelques années les chercheurs (les articles y faisant référence sont majoritaires dans les récents congrès d’intelligence artificielle), mais posent des problèmes tels qu’ils obligent à reconsidérer les choix
logiques effectués dans les années antérieures.

DEUX EXEMPLES : RÉSEAUX SÉMANTIQUES ET GRAPHES CONCEPTUELS

Caractéristiques des modèles de représentation des connaissances, les réseaux sémantiques et les graphes conceptuels permettent aussi d’associer à une description logique une description graphique. Le lecteur trouvera dans les deux paragraphes suivants les remarques essentielles que l’on puisse faire sur ce sujet en l’état actuel.
Dans les années 1970, la notion de réseaux sémantiques a été (informatiquement) développée. Ceux-ci consistent en concepts (noeuds) et relations entre concepts (Sorte-de, encore appelé Est-un). La prolifération des types de liens (et la non-standardisation de leur représentation graphique) a très rapidement rendu ces descriptions informatiquement inutilisables. Les liens étaient en effet très mal définis sémantiquement, voire pas du tout pour certains d’entre eux. Quelques articles critiques (Minsky, 1975 ; Woods, 1975) ont réorienté les études vers une réflexion sur une formalisation logique parallèle à la description graphique. KL-ONE (Brachman, 1978) fut ainsi le premier système de traitement d’informations symboliques représentées par des réseaux sémantiques ayant une sémantique claire. La formalisation a par ailleurs permis de comprendre les difficultés techniques inhérentes à certains types de liens (non-calculabilité dans certains cas !). De nombreuses études et implémentations ont affiné la proposition (Fahlman et al., 1981 ; Fikes & Nado, 1987 ; Woods, 1991). Des prototypes sont d’ores et déjà utilisés dans un cadre
industriel(coonasaissance  nsocnets mactéudeilclaelmese npta ru etxileisméepsl e: ). Trois méthodes d’organisation de l’informations sont actuellement utilisées.
la reconnaissance consiste à repérer pour un individu donné le ou les concepts (on dit aussi types génériques) auxquels cet individu appartient (on dit alors que l’individu est une instance du concept) : l’individu Paul peut ainsi être reconnu comme étant un étudiant, ou une personne ou…, selon les propriétés déclarées pour l’individu Paul ;
l’agrégation consiste à relier un individu à d’autres individus : l’objet Paul peut ainsi être relié à l’objet symbolisant son bras… Il faut évidemment que la représentation soit telle qu’un bras ne puisse appartenir qu’à une unique personne. Lors des mises à jour (on décide par exemple d’ôter l’individu Paul de la base de connaissances), il faut aussi supprimer tout ce qui en est directement dépendant (le bras de Paul en l’occurence) ;
la classification consiste à hiérarchiser un ensemble de concepts. Un concept peut ainsi être considéré comme sous-concept d’un autre (oiseau  par rapport à animal). Classer un concept C sous un autre concept C’, c’est indiquer que toutes les propriétés de C’ sont aussi des propriétés de C (on parle dans ce cas d ’héritage de propriétés). La sémantique des relations d’héritage est particulièrement complexe dès que l’on cherche à rendre compte des propriétés par défaut, des exceptions, ou à masquer des valeurs de propriétés (Ducourneau & Habib, 1989 ; Stein, 1992 ; Touretzky, 1986) : dans la figure 3, Nixon apparaît à la fois comme républicain et comme quaker. On indique qu’un républicain est en général non pacifiste (-pacifiste), et qu’un quaker est en général pacifiste. En tout état de cause, les républicains, comme les
quakers, sont des personnes. Nixon est-il pacifiste ou non ? Si la contradiction rend le système logique caduc, elle est pourtant intuitivement concevable !
C’est donc que l’information graphique ne se suffit pas à elle-même : il se peut que cette propriété dépende du contexte (politique, social, etc.). Comme on peut le constater, il y a loin du graphisme à un système opérationnel.

côté du courant précédent, le formalisme des graphes conceptuels
(Sowa – 1991 ) a fait aussi particuliérement l’ojet de recherche. L’approche logique est differente la representation graphique  aussi (cf. fig 4) les noeuds carrés correspondent à des instanciations de concepts ( Dupont est un malade par exemple), dans les cas oú un nom spécifique n’a pas été donne à l’instance, le nom du concept est seul spécifie. Les noeuds ronds co0rrespondent aux prédicats. Le lexique associe à chaque concept o prédicat un graphe de définition ( le “sens” du  concept oú du prédicat). Il est notable de

constater que les réseaux sémantiques sont principalement utilisés en représentation de connaissances (d’experts), alors que les graphes conceptuels sont associés à l’étude du langage naturel. La notion de discours (de proposition, de modalités sur les propositions) y joue un rôle important ; c’est pourquoi l’enchâssement des représentations (grâce aux noeuds carrés à double valeur) y est une notion clé. Le formalisme des graphes conceptuels a été dès le départ associé à une formalisation logique : le nombre de type de liens est faible, a contrario les concepts de base sont fréquemment sous-définis (la sémantique de la plupart des modalités y est notoirement sous-définie par exemple). La représentation est plus féconde que celle des réseaux sémantiques, les mécanismes algorithmiques sont malheureusement plus complexes.

4. CONCLUSION

Quelle est l’orientation actuelle ? Il suffit de consulter les derniers actes des conférences d’intelligence artificielle (European Conference on Artificial Intelligence, International Joint Conference on Artificial Intelligence par exemple)pour constater l’importance des représentations graphiques. Force aussi est de constater l’effort consenti en intelligence artificielle pour définir une modélisation logique adéquate. Jusqu’à présent, cet effort n’a abouti que dans les cas où on réduisait drastiquement les types de liens (les réseaux réellement formalisés ne tiennent compte que des liens de type Sorte-de, de la négation, de rôles simples). La démarche actuelle vise donc à accroître le pouvoir d’expression des langages de représentation des connaissances en intégrant un à un de nouveaux types de liens (des modalités, des liens de type défaut ou de type exception…).
Rappelons pour terminer qu’il y a encore un fossé important entre utilisation effective des graphiques et formalisation de ceux-ci. Non seulement l’implicite contenu dans un graphique est souvent hors de portée des théories actuelles, mais encore il convient de noter qu’il existe un décalage important entre la théorisation de notions telles que la catégorisation et la conceptualisation en psycholinguistique et ce que l’intelligence artificielle est supposée en faire ; les différences dans les définitions des termes utilisés sont à ce sujet significatives. Ainsi, un concept est dénoté en intelligence artificielle fondamentalement par un ensemble d’individus, c’est-à-dire un ensemble de propriétés pris parmi un ensemble primitif, et les travaux actuels ne font pas référence à d’éventuelles différences entre propriétés et caractéristique, entre
prototype et instance d’un concept. L’approfondissement de ces notions est plus que jamais à l’ordre du jour. En particulier, une mise en commun des résultats obtenus   dans les disciplines liées aux sciences cognitives apparaît nécessaire.

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Citer ce document :
Fouqueré Christophe. Représentations graphiques et intelligence artificielle. In: Didaskalia, n°5, 1994. Les cartes
conceptuelles. pp. 63-72;
doi : 10.4267/2042/23237
https://www.persee.fr/doc/didas_1250-0739_1994_num_5_1_965

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