II parait inévitable de poser la question de l’articulation des deux concepts de réseau de villes et de réseau d’entreprises, qui ne peut se faire sans un troisième réseau formel, celui des transports et télécommunications. Cependant, leur temporalité, la stratégie de leurs opérateurs respectifs, leur « efficacité », sont loin d’être aisément comparables. Une réflexion sur leur intégration est proposée ici, qui souligne les difficultés d’une éventuelle formalisation du fonctionnement de ces trois réseaux.
QUELQUES PRECISIONS ET RAPPELS PRÉLIMINAIRES
UNIVERSALITE ET AMBIGUÏTE DE LA NOTION DE RÉSEAU
La notion et le concept du « réseau » ont envahi les sciences sociales et tout particulièrement la géographie des transports, les relations industrielles et l’économie locale. Le corpus bibliographique rassemblé par le GDR « Réseaux » (plus de 400 références sur la période 1981-90, voir Etienne et Offner, 1992) fait apparaître une croissance exponentielle des publications diverses relatives aux réseaux, au taux annuel de 40% ! Encore s’agissait-il le plus souvent de littérature grise, de rapports de recherche et d’articles de revues spécialisées. La période la plus récente (1991-1994) a été marquée par la parution de bon nombre d’ouvrages allant de l’approche philosophique (Parrochia, 1993, Serres, 1993) ou historique des réseaux et de l’urbanisme (Dupuy, 1991) à la mise en réseau des entreprises multinationales des grandes villes européennes (Rozenblat, 1992) et aux nouvelles logiques réticulaires de la géographie de la production (Benko et Lipietz, 1992, Savy et Veltz, 1993, Chauchefoin, 1994).
D’où vient cette irruption en force de la science des réseaux ou « rétistique » dans les disciplines classiques de la géographie, de l’économie ou de la science régionale ? Assurément du caractère très flexible et universel de la notion de réseau, que l’on rencontre aussi bien en physique (comment s’opèrent les connexions entre les éléments constitutifs d’un ensemble en voie de constitution par percolation), en biologie (agencement des réseaux neuronaux), en psychologie sociale et en sociométrie (réseaux sociaux et affinités) mais aussi en géographie (réseaux urbains), en économie (réseaux d’entreprises) ou en transport ou théorie du signal (réseaux de
communication et de transfert de l’information).
Cet « oecuménisme des réseaux » ne va pas sans risque : celui d’utiliser la notion de façon plus symbolique ou métaphorique (cf. Serres, 1993) qu’objective et
scientifique. Sans doute, chaque discipline a-t-elle ses représentations du « réseau » et sa manière d’utiliser ce concept. Aussi n’est-il pas inutile de rechercher, dans la
ou les définitions du réseau, les caractéristiques communes, le « plus petit commun multiple » des analyses de cette notion.
La première dimension est topologique : un réseau met en relation, connecte, des entités réparties dans un espace muni d’une distance et leur applique les notions
développées par la théorie des graphes : connexité, connectivité, nodalité, homogénéité, entropie (cf. Dupuy, 1985). C’est la définition a minima d’un réseau,
en ce qu’elle est réductionniste ; il est ainsi impossible de prédire l’extension, la dynamique, du réseau. D’autres dimensions existent qui rendent compte des
propriétés de plasticité, de morphogenèse, d’auto-organisation et de transformation des réseaux. Chauchefoin (1994) en souligne ainsi deux :
• La dimension transactionnelle/organisationnelle. Le réseau est un processus qui relie les entités selon une logique systématique à travers les projets et les
transactions des acteurs qui le constituent. Apparaît alors la figure importante de l’opérateur de réseau qui rend compatibles les différentes contraintes et arbitre entre les projets.
• La dimension projective/évolutive. Le réseau apparaît aussi comme un processus évolutif résultant de solidarités et de coopérations, qui entremêlent logiques
individuelles et comportements collectifs. L’important est alors de prévoir les entrées et sorties du réseau, la création de nouveaux pôles, etc.
RESEAUX ET TERRITOIRES
Le domaine des interactions entre réseaux et territoires apparaît comme relativement bien défriché par la recherche urbaine, en particulier en ce qui concerne les
impacts territoriaux des réseaux techniques. Les réseaux inventoriés sont de nature très diverse : eau et assainissement, chauffage urbain, énergie (électricité, gaz),
transports (route, fer, TGV, aérien), télécommunications (téléphone, Minitel, câble, RNIS). Certains présupposent une infrastructure matérielle lourde : continue (rail,
canaux) ou discontinue (réseau aérien, balises). Tous ces réseaux techniques ont des points d’ancrage territoriaux.
Les recherches sont diversifiées dans l’espace (par le nombre de pays ou de régions concernés) et dans le temps (incursions multiples dans l’histoire des grands réseaux).
Les facteurs de développement des réseaux techniques sont bien cadrés et les modalités de leur diffusion spatiale ont été souvent explorés (même si l’histoire s’accélère : comparer à cet égard les rythmes d’extension du réseau ď electrification ou du téléphone au début de ce siècle et la couverture territoriale très rapide assurée actuellement par le câble ou le réseau Itineris par exemple). Seul résiste encore le problème de la couverture territoriale équitable dans la mesure où un réseau
nouveau qui apparaît crée inévitablement des inégalités d’accès entre les usagers déjà raccordés, ceux qui le seront plus tard et ceux qui ne le seront peut-être jamais.
Ceci risque d’accentuer la dualisation ou différenciation de l’espace selon le degré de couverture, d’autant plus que prévaut une logique économique non plus nationale
mais internationale du développement des grands réseaux, axée sur la polarisation de l’espace.
Il faut cependant distinguer entre les réseaux qui se branchent sur un réseau-matrice existant : télécopie, Minitel… et ceux qui exigent un équipement nouveau
donc coûteux, donc une offre préalable d’infrastructure de la part des opérateurs des réseaux. Les réseaux connectables sur un mode ubiquiste ou très largement
répandu, comme le téléphone, sont potentiellement plus équitables que les autres.
RESEAUX URBAINS ET RESEAUX D’ENTREPRISES : DEUX NIVEAUX D’INTERACTION
Réseaux urbains et réseaux d’entreprises ont été longtemps analysés séparément : les premiers par la géographie quantitative (Christaller) et l’analyse
économique spatiale (Lôsch), les seconds par la théorie des marchés, l’économie industrielle et la gestion de la production. La décennie écoulée a vu se rapprocher les deux corps d’explication. Les articulations ont été étudiées à deux niveaux principalement :
• entre PME/PMI et villes moyennes autour de la notion de « district industriel marshallien ».
• entre filiales des grandes entreprises multinationales et grandes métropoles de « classe internationale ».
a) La notion de « district industriel marshallien » est très largement utilisé dans les travaux récents. Dans certains secteurs d’activité, des savoir-faire particuliers et
des qualifications spécifiques se déploient à l’intérieur de bassins d’emploi bien délimités : la spécialisation et la mise en commun de ces qualifications renforce les
effets externes positifs. Cette approche est d’ailleurs au centre de la théorie de la croissance endogène. Beaucoup de facteurs concourent pour expliquer l’émergence de
systèmes productifs locaux qui fédèrent un réseau de sous-traitants autour d’un donneur d’ordres. Les éléments constitutifs de ces systèmes sont les suivants :
• fortes externalités de proximité et de voisinage,
• organisation de la production en flux tendus,
• homogénéité des qualifications et des compétences,
• existence de facteurs qualitatifs d’environnement favorables (« atmosphère industrielle » chez Marshall),
• apparition de processus de croissance auto-entretenus. Le réseau de transports et de communications n’y a qu’une faible part.
b) D’une autre nature apparaissent les interactions entre les grandes métropoles et les filiales ou les sièges sociaux des grandes multinationales. Ce sont alors les
fonctions internationales des grandes villes et leur position sur des noeuds de transport et de communication qui s’avèrent déterminantes. Le système de transport y a
donc une très grande part. Préciser ces deux types ď interrelations entre villes et entreprises à des niveaux différents est l’objet de la section suivante.
REFLEXION SUR L’ARTICULATION DES RÉSEAUX DE VILLES ET RÉSEAUX D’ENTREPRISES
DESCRIPTION SCHÉMATIQUE DES RÉSEAUX
Le graphe de la Figure 1 décrit les relations entre réseaux de manière ultra-simplifiée.
• RES.URB regroupe l’ensemble des villes regroupées dans un ou plusieurs réseaux. La définition la plus large du réseau urbain correspond à celle donnée implicitement par le réseau des infrastructures de transport ; dans ce cas, toutes les villes sont connectées, de manière involontaire, pourrions-nous dire. A l’opposé, une définition étroite d’un réseau urbain repose sur la notion d’adhésion volontaire à ce réseau, et à une participation active de tous ses membres. Cette définition se
rapproche de celle d’un club ou d’une coalition en économie ; l’adhésion des agents est le résultat d’un calcul économique précis : il n’existe aucune autre coalition
telle qu’un agent puisse augmenter son utilité en faisant partie de cette autre coalition. L’entrée de nouveaux membres sera possible tant qu’elle contribuera (à la
marge par définition) à l’accroissement de l’utilité des membres déjà présents dans la coalition. Ainsi, un réseau ou « club » urbain se développe tant que cette règle est respectée. Cette vision micro-économique de la coalition suppose évidemment un horizon à court ou moyen terme. En outre, précisons que RES.URB a une structure verticale ou « hiérarchique » dans sa définition « large » et une structure horizontale ou « en étoile » dans sa définition « étroite ».
• RES.ENT regroupe l’ensemble des entreprises dont l’organisation de la production impose l’appartenance à un réseau. A la différence de RES.URB, il n’y a pas de définition « large » d’un réseau, car les entreprises sont des agents économiques ayant des stratégies aussi bien à très court terme qu’à long terme, dont la survie dépend, tandis que les villes sont assurées de leur pérennité. Un réseau d’entreprises répond alors à la notion de coalition (volontaire par définition) évoquée à l’instant. Etant la résultante de concentration verticale et horizontale, il résume à un moment donné les stratégies des entreprises.
• RES.TII décrit l’ensemble des réseaux de transport, d’informations et d’innovations. Il regroupe donc les « autoroutes d’information » comme les liaisons
autoroutières, ferroviaires ou aériennes. A la différence des deux autres réseaux, il ne peut se constituer spontanément ; il connecte en effet à la fois ses propres opérateurs et des agents appartenant aux autres réseaux. Il est « support » de ces autres réseaux, ce qui n’exclut évidemment pas des stratégies actives.
• RES.SAP enfin décrit les réseaux informels, plus ou moins visibles, qui jouent le rôle d’« agent de liaison » entre réseaux. Ces réseaux sont essentiels dans
le fonctionnement des grandes institutions économiques et dans celui des villes. Cependant leur nature plus ou moins confidentielle rend difficile la compréhension de
leur stratégie (voir Figure 1).
ÉVALUATION DES BESOINS
Trois séries de questions qui apparaissent comme autant de préalables à l’étude de la séquentialité des besoins doivent ici être posées.
A) La question de l’appartenance multiple au(x) réseau(x). Dans certains cas particuliers, un agent, une entreprise, peuvent appartenir à un ou plusieurs réseaux. C’est notamment une caratéristique des entreprises opératrices de réseaux, comme celui du câble : elles forment avec leurs filiales et sous-traitants unepartie de RES.ENT et de RES.TII (cf. Fig.l) simultanément, en plus de leur rôle d’opérateurs du second réseau. Cette pluri-appartenance brouille évidemment l’analyse de l’équilibre du système schématisé par la Figure 1 mais elle permet, dans la réalité, de dynamiser les relations entre réseaux. On parle également des villes, appartenant à RES.URB, comme des « réseaux de réseaux » pour exprimer l’idée qu’elles concentrent un grand nombre de réseaux, techniques et formels (voirie, métro, télécommunications, eau, électricité…) aussi bien qu’ interpersonnels et informels (professionnel, notables, RES.SAP). Autrement dit, s’ajoutent au schéma des intersections entre réseaux qui dupliquent ou court-circuitent partiellement les liaisons réseaux-IOR.
B) La question de la causalité entre les réseaux. Une interdépendance forte caractérise les trois réseaux décrits précédemment, mais leur temporalité est différente. Si RES.URB et RES.TII structurent l’économie à long et très long terme, les entreprises de RES.ENT élaborent des stratégies dont l’horizon est, en comparaison,
à court terme. Les entreprises doivent alors disposer de la meilleure information possible (donnée par RES.TII) pour connaître les évolutions programmées des deux
premiers réseaux. Cette information leur permet de réduire leur incertitude et étaye leurs demandes aux deux réseaux en question, qui tiennent compte en retour de
ces demandes pour programmer leurs investissements et/ou orienter leur politique. On peut ainsi considérer les relations entre réseaux sous l’angle des décalages
temporels en conférant à RES.URB le rôle d’impulsion des évolutions de long terme. RES.TII est alors considéré comme le support plus ou moins passif à court terme des échanges matériels et immatériels entre RES.ENT et RES.URB, et entre les entreprises.
RES.ENT -> RES.URB
• demande de services publics locaux
• demande de « prestige » et de « support d’image »
• exigence de main-d’oeuvre qualifiée et/ou nombreuse
• demande de connexion à un réseau d’information
formel et informel (connexion forte de RES.URB à RES.TII)
• recherche d’« économies d’agglomération » (Marshall)
L’attractivité de telle ville ou région ne peut être mesurée que grâce aux informations recueillies par l’entreprise auprès de RES.TII1. Un des rôles principaux
de RES.TII (sous-réseaux « Information ») consiste alors à transmettre aussi rapidement et exactement que possible les signaux émis entre agents, tout en étant soumis
à une contrainte de capacité (nombre maximal d’informations transmise par un canal donné, par sens et par unité de temps). Une « plus-value informationnelle » est
ainsi garantie, contre un coût variable (modulable selon la quantité d’information traitée et la capacité disponible du réseau), aux utilisateurs de RES.TII. On peut alors
représenter une première série de relations entre les trois réseaux à l’aide du schéma ci-dessous (voir Figure 2).
Notons les points suivants:
• Le bouclage du trajet RES.ENT/RES.URB/- RES.TII/RES.ENT s’effectue à un rythme qui dépend à la fois de la taille des agents en contact (grandes entreprises/métropoles/traitement rapide de l’information ou PME/petites villes/traitement lent de l’information) et de Г ancienneté de leurs relations, ce second facteur pouvant amplifier ou amoindrir l’effet du premier).
• Si l’« impulsion » est donnée par RES.ENT, elle est relayée par les autres réseaux de manière plus ou moins lente, plus ou moins complète. Un premier indicateur d’efficacité globale peut être donné par la vitesse de bouclage évoquée à l’instant, par unité de demande d’information émise par RES.ENT. La déformation
minimale du signal peut alors être considéré comme un objectif prioritaire pour tous les réseaux s’il y a concertation.
• Les opérateurs de réseaux recherchant l’efficacité maximale de leur réseau, ils doivent s’assurer que la « demande solvable » des deux autres réseaux soit suffisante avant de décider l’engagement d’un investissement nouveau (soit pour développer le réseau à technologie inchangée (changement d’échelle), soit pour innover et
perfectionner l’existant (gain d’efficacité). Un certain délai, stratégique, peut dès lors apparaître entre le moment où le réseau support (RES.TII principalement)
atteint son niveau de saturation et la date où il étend sa capacité. Nous verrons ultérieurement comment les réseaux demandeurs réagissent face à ce rationnement
plus ou moins volontaire de la part du ou des réseaux support.
C) La question de la structure caractéristique d’un réseau. A priori, chaque réseau possède sa structure, son organisation propre. Nous proposons ci-après une
schématisation de ces structures : au sommet : GE (Grandes Entreprises)
• réseau de sous-traitants
• réseau d’entreprises de services aux entreprises
• réseaux « informels » et groupements/associations
• filiales des GE (France et étranger)
L’impulsion à long terme, la stratégie, est décidée par les sièges sociaux des GE, qui élaborent des directives dans lesquelles s’inscrivent les stratégies en aval. Or, l’effet taille joue contre la mobilité des GE, qui conservent durant de très longues périodes leurs localisations, leurs modes de communication, leurs réseaux d’information internes. C’est donc à un niveau hiérarchique inférieur que les mutations sont les plus rapides et que l’adaptation est la plus nécessaire. Le réseau d’entreprises sera donc d’autant moins inerte que l’information circulera efficacement du bas vers le haut.
Sous l’angle de la théorie des organisations, le phénomène d’« attente stratégique », évoqué pour RES.ENT caractérise les GE : l’importance des investissements à
programmer pour une relocalisation, la connexion à un nouveau système d’information et/ou la mise en place d’un nouveau mode d’organisation (cf. SOCRATE pour
la SNCF, GE/opératrice). La relation taille-stratégie d’investissement garantirait alors une relative stabilité des têtes de réseaux, quels qu’ils soient, ce qui revient à
dire qu’à court terme seules les relations entre les plus petites entités des différents réseaux sont à analyser. Ainsi, les réseaux de PME/PMI sont en étroite
interaction avec les réseaux de villes petites et moyennes, euxmêmes utilisateurs ou instigateurs de réseaux d’informations « locales ».
A une dichotomie court terme/long terme correspond ainsi une opposition grande taille/petite taille. L’analyse des liaisons statiques et dynamiques entre réseaux peut se décomposer en trois phases :
1. comportements des « petits acteurs » et l’équilibre obtenu à court terme,
2. stratégies de long terme des « grands acteurs/têtes de réseaux »,
3. l’interaction de ces stratégies et formation d’un équilibre de long terme. Retour à la première phase.
Le réseau « informel » et les associations des GE (e.g.: CNPF, clubs d’entrepreneurs, bureaux d’anciens des Grandes Ecoles, adhésion à une norme ou charte…)
peut fédérer les GE : relations interpersonnelles, prises de participation croisées, jeu des filiales, standardisation, et renforcer l’unité des stratégies des GE, donc le
poids de RES.ENT sur les deux autres réseaux. au sommet : GV (Grandes Villes)
• réseau des grandes villes
• réseau de villes moyennes
• réseaux « informels » et groupements/associations
• représentation des GV et régions (bureaux en France et à l’étranger)
Une triple hiérarchie caractérise schématiquement ce réseau. La première, formelle, lie les villes de même taille entre elles. La trame ainsi constituée s’appuie
fortement sur les info- et infra-structures les plus lourdes et les plus anciennes. Une forte interdépendance des trois réseaux existe à ce niveau « supérieur ».
La seconde, formelle encore, caractérise les relations des villes de tailles différentes. Une plus ou moins forte dépendance des villes petites et moyennes vis-à-vis des capitales régionales doit être mise en regard du réseau « inférieur », entre villes moyennes.
Cette question de la superposition de deux niveaux hiérarchiques formels se retrouve notamment dans les problèmes liés à l’intercommmunalité : une grande ville
cherchera à « intégrer » son territoire (réseau de villes) naturel afin d’internaliser les effets de débordement et externalités divers qui caractérisent le fonctionnement économique de ce territoire. Or, les communes de plus faible rang, devant le risque de perte d’autonomie induit par la participation à un programme d’intercommunalité, peuvent être (et le sont dans la réalité) tentées de mettre en place des structures transversales, et ainsi de « courtcircuiter » la hiérarchie principale évoquée à l’instant.
Cela est notamment vérifié pour l’implantation des entreprises : les communes périphériques mettent en avant simultanément leur proximité de la ville-centre, donc de ses infrastructures, et leur autonomie de décision, notamment en matière fiscale. Une valorisation des effets de débordement positifs est ainsi clairement utilisée à des fins stratégiques.
La troisième, dite « informelle », repose sur la mise en place de réseaux d’information entre les grandes villes et de groupes à entrée limitée de type clubs, à l’exemple de l’Association des Maires des Grandes Villes de France (AMGVF), qui peuvent faire du lobbying auprès des centres de décision nationaux (Parlements, cabinets ministériels..) ou internationaux (Parlement européen, CEE, OCDE…). A l’intérieur même d’une ville, les notables sont également liés par l’appartenance commune à des clubs et réseaux d’influence (Rotary, Lion’s, loges maçonniques…) qui permettent un contact durable entre responsables politiques et décideurs économiques.
Il est hors de propos ici de développer cette question, mais il est certain que la prise en compte de facteurs subjectifs et de l’influence personnelle de certains
édiles auprès de ces centres de décision est indispensable à la compréhension du fonctionnement de RES.URB, comme il était déjà souligné dans la première
partie.
au sommet : GR (Grandes Régions)
• réseaux publics (transport, télécommunication): GEN
• réseaux privés
• réseaux « informels »
FLUX n°20 Avril – Juin 1995
On peut qualifier la hiérarchie de RES. TII de « nodale », et le réseau lui-même de « réseau support », à l’instar de Henriet et Voile (1987) qui, concernant les
télécommunications, désignent par service-support le service de télécommunication vu par le réseau, à savoir le debit d’information accompagné d’une signalisation et
demandant des prestations précises en matière de transmission et de commutation. Par nature, RES.TII a vocation à relier les pôles situés dans les deux autres sphères,
demandeurs de services que RES.TII doit traduire en termes de « faisabilité » technique et financière. Bien qu’actif (car il détermine par sa technologie et son
étendue le développement des autres réseaux), il a néanmoins un rôle passif : répondre le plus efficacement et le plus rapidement possible aux demandes formulées par
les entités de RES.URB et RES.ENT, parfois mutuellement exclusives, parfois complémentaires.
Evidemment, cette caractérisation est schématique donc réductrice ; en réalité, les opérateurs de réseaux, en particulier RES.TII, contribuent fortement à créer leur
propre demande (à l’instar des péages autoroutiers qui, censés financer une infrastructure précise, servent en fait à justifier et appuyer l’extension du réseau), ne serait-ce que pour rentabiliser leurs investissements de R&D, en promouvant leurs produits et innovations auprès des GE/GV, ce qui renforce encore les liens naturels entre
têtes de réseaux. La question de la séquentialité de l’offre et de la demande de et à RES.TII se pose ici avec acuité : s’il est vrai que les rendements croissants des opérateurs de ce réseau les poussent à produire toujours plus de services et à innover en permanence, la demande croissante de support de flux immatériels (information) ou matériels (transport) de la part des entreprises et des villes entretient cette « fuite en avant ». Une structure hiérarchique double, à l’image de celle de RES.ENT, traduit cette dualité. L’organisation (verticale) de la production est comparable à celle des plus grandes entreprises de RES.ENT, mais la ramification du réseau est par nature horizontale et verticale, puisqu’elle met en communication des entités de taille et d’influence variables. Le maillage de ce réseau détermine la trame sur laquelle s’appuient les décisions de localisation des entreprises et les stratégies de développement des villes. Les infrastructures de transport en particulier, très fortement dépendantes de RES.URB, sont prioritaires : tant qu’un volume minimal de flux physiques interurbains et inter-entreprises transitera par ces infrastructures, RES.TII imposera une limite à toute stratégie.
LES STRATÉGIES
Si chaque réseau a sa stratégie de développement propre, celle-ci est fortement contrainte par celles des deux autres réseaux. En reprenant l’idée que RES.TII conditionne les possibilités d’extension de RES.URB et RES.ENT, d’une part, et que l’impulsion part de RES.ENT d’autre part, on analysera successivement les
stratégies de RES.ENT, RES.URB, RES.TII.
Stratégie de RES.ENT
Envisager une stratégie globale pour le réseau d’entreprises peut sembler irréaliste. En effet, les stratégies élaborées par les firmes dans un environnement concurrentiel administré sont spécifiques à leur taille, leur branche, leur histoire, leur localisation, leur degré de monopole, etc.; les agréger paraît ainsi peu pertinent.
Cependant, une autre dimension se superpose au plan micro-économique, celle de la logique de réseau telle que nous l’avons esquissée précédemment. De manière
schématique, on peut partir des demandes formulées par RES.ENT à chacun des deux autres réseaux, avant de traiter des réponses à ces demandes, donc des problèmes de rationnement.
Toute demande, exprimée par RES.ENT auprès de chacun des deux autres réseaux à une date (et une localisation) donnée îq peut être :
a) imprécise et à long terme (e.g. prospective, innovation majeure en matière de traitement de l’information) ;
b) précise et à court terme (e.g. demande de connexion à RES.TII, localisation dans telle ou telle ville) ou à long terme (création de nouveaux serveurs, d’échangeurs autoroutiers, de zones industrielles, interconnexions ferroviaires, aéroports…) ;
c) satisfaite à court ou moyen terme avec une probabilité forte (surtout si la demande est précise et peu difficile à satisfaire techniquement) ;
d) satisfaite à long terme en totalité, soit par fractions soit intégralement ;
e) satisfaite partiellement à long terme (résultat de négociations) ;
f) non satisfaite à long terme (demande trop coûteuse ou impossible à satisfaire techniquement).
Hypothèses
Du fait des temporalités différentes selon les réseaux, on peut s’appuyer sur l’hypothèse que l’impulsion est systématiquement donnée par RES.ENT, qui formule ses besoins (à court, moyen et long terme) à chacun des deux réseaux supposés passifs à court terme.
Cette hypothèse est très restrictive, mais elle a le mérite de traiter les stratégies de manière séquentielle. Il est évident que, selon leur taille, les entités des réseaux
« offreurs » seront plus ou moins passives : une ville moyenne peut élaborer une stratégie de développement économique dans des délais relativement courts, et la
modifier tout aussi rapidement, au contraire d’une très grande ville.
• On supposera que RES.ENT dispose d’une information parfaite sur l’offre totale à court terme des réseaux auxquels il s’adresse, d’une part, et qu’il dispose d’éléments d’information sur les coûts et prix des services fournis par ces mêmes réseaux (e.g. connaissance des taux d’imposition, des réserves foncières des villes cibles en cas d’une demande de (re)localisation ; coût de connexion à un réseau de télécommunication, abonnement à une base de données, tarification du transport…).
• les acteurs de RES.ENT attribueront des probabilités à chaque éventualité (de a à Д d’autant plus subjectives que l’horizon est éloigné et la demande importante. Les demandes ayant les plus fortes probabilités d’être satisfaites intégralement et rapidement constitueront l’ossature de leurs stratégies de court et moyen terme,
tandis que les autres appartiendront au domaine de la prospective.
Séquentialité
En t = tj : RES.ENT reçoit les réponses (c, d, é) à ses demandes exprimées à la date précédente. Il s’adapte alors à chaque éventualité : si sa demande est rejetée
(trop coûteuse, irréaliste), il l’abandonne ou la reformule afin de se ramener si possible en.c ou en d. Mais il peut également provoquer une réponse accélérée en exerçant une pression voire une menace sur le réseau auquel il formule sa demande (quitter la ville, licencier massivement…). Au contraire, si sa demande est satisfaite, il applique sa stratégie et bénéficie des avantages procurés par cette réponse positive (relocalisation, réorganisation interne, image-promotion par la ville, etc.). Afin de
minimiser le risque de ne rien obtenir du tout, RES.ENT a intérêt à modérer ses demandes même lorsqu’elles correspondent à un besoin réel, et à limiter la pratique de la surenchère systématique, qui n’est efficace que si les informations qui la motivent sont sûres. Un arbitrage doit être mené entre :
1) demander peu (connexion, aménagements) et maximiser la chance d’obtenir la totalité, quitte à répéter cette opération souvent (stratégie « graduelle ») ; ou
2) demander beaucoup (innovation majeure) au risque soit de ne rien obtenir, qui vient d’être évoqué, soit de tout obtenir mais plus tard que prévu ou de
manière fractionnée.
Effet de réseau
La formulation de demandes similaires exprimées simultanément modifie les réponses des réseaux offreurs. Or, si chaque entreprise ou branche prise individuellement ne peut faire dépendre sa strétégie de celles des autres entreprises de RES.ENT, l’appartenance à un réseau permet, grâce à la structure interne d’information, une conciliation des objectifs et moyens. A part certaines demandes locales très précises et particulières à une ou quelques entreprises, les « grands projets » sont communs à tous les acteurs principaux du réseau. Autrement dit, c’est l’agrégation des demandes, donc des stratégies individuelles qu’il faut satisfaire, d’une part, et que chaque agent de RES.ENT doit considérer d’autre part. Le problème, c’est de traduire explicitement cette agrégation au niveau individuel. Le réseau doit être fortement intégré afin que puisse s’en dégager une demande homogène, dont la probabilité de satisfaction est supérieure à toute demande individuelle. Clairement, les réseaux offreurs sont d’autant plus à même de répondre rapidement et efficacement à la demande que celle-ci est « solvable », donc massive. Ainsi, les grandes villes de RES.URB offrent d’autant plus facilement des localisations aux entreprises qu’elles sont organisées en « district industriel », afin de rentabiliser leurs investissements. Mais des villes de taille plus faible jouent également sur cet effet, d’autant plus que leur équilibre financier dépend crucialement du versement d’impôts locaux par les entreprises.
Stratégie de RES.URB
Comme nous l’avons rappelé, la temporalité du réseau de villes est d’un ordre de grandeur très différent de celle des autres réseaux. L’inertie de l’offre risque alors d’être grande, face à une demande exigeant une réponse rapide. Comment rendre conciliables ces temporalités différentes ? Si le volume de la demande est un
facteur favorable à sa satisfaction rapide, jouent également dans l’adéquation offre-demande de services urbains (de localisation principalement) les
intermédiaires (I.O.R) : la négociation entre entreprises et villes s’établit entre représentants de chaque réseau. A côté de la nécessaire « densification » ou simultanéité de la demande, l’amélioration des délais de satisfaction de la demande par les entreprises de connexion au réseau urbain passe par un processus lent et limité à un faible nombre d’acteurs.
Ce paradoxe n’est qu’apparent : il suffit de mettre en parallèle les deux inerties : celle des villes et celle des grandes entreprises, créatrices d’emploi, d’innovation et
de recettes fiscales. Les villes doivent, elles-aussi, mettre au point des stratégies d’accueil des entreprises, dans un cadre de forte concurrence entre villes. Des
pratiques d’« enchères » commencent ainsi à se mettre en place ; afin d’attirer les plus grandes entreprises, les villes offrent des primes d’installation sous la forme
d’exonération fiscale (« tax holidays »), d’offre d’infrastructures de transport ou de télécommunication, de facilités de logement des salariés de ces entreprises, qui se
traduisent par un coût fiscal qui doit être à terme compensé par les recettes supplémentaires induites par leur installation et par l’« effet district »2, qui attirera
d’autres entreprises et permettra un abaissement des taux d’imposition rendu possible par l’élargissement de l’assiette.
La mise en réseau des villes, s’ appuyant sur les infrastructures de RES. TII, a des effets positifs comme négatifs pour chacune des villes :
• L’aspect positif est une plus grande homogénéité de l’offre, qui peut corriger les effets de polarisation et de métropolisation. Si les demandes des entreprises
peuvent être satisfaites localement, celles-ci ne sont pas obligatoirement amenées à se délocaliser et à subir des effets d’encombrement spécifiques aux grandes
agglomérations. Cependant, les économies d’agglomération jouent fortement, compromettant cette logique : les sièges sociaux des GE ont tendance à se localiser dans les métropoles, leurs unités de production dans les villes moyennes ou à proximité des noeuds du réseau de transport.
• L’effet négatif de la mise en réseau des villes réside dans un avantage donné aux entreprises dans le processus de négociation avec leurs intermédiaires, car elles
bénéficient des innovations en matière de transport et de télécommunication et sont moins dépendantes d’une localisation précise. Elles peuvent ainsi pousser les
villes, surtout celles de taille plus faible, à aller plus loin qu’elles ne le veulent dans leurs concessions et compromettre leur équilibre financier, comme des exemples
récents l’ont illustré aux Etats-Unis. La résultante de l’homogénéisation de l’offre permise par la mise en réseau semble ainsi, a priori, incertaine, puisqu’elle tend
à rendre théoriquement indifférentes les entreprises en terme de localisation, et à renforcer leur pouvoir de négociation.
La stratégie de RES.URB est ainsi difficile à mettre en évidence :
• À court terme, l’inertie des grandes villes face à une demande de RES.ENT parfois imprécise ou disproportionnée par rapport à leur capacité technique et/ou
financière rationne plus ou moins cette demande, qui doit alors se tourner vers des villes de taille plus faible ou reformuler leurs besoins. Cependant, l’inertie caractérise également le réseau d’entreprises : les villes se retrouvent parfois en situation de demande auprès de ce réseau, surtout depuis la décentralisation. Des maires de grandes villes ont investi massivement en infrastructures de transport, en pôles de recherche, en pépinières d’entreprises, en réseau de fibres optiques, anticipant une demande forte de la part des entreprises. Or, s’il est indéniable que cette politique a parfois réussi, des exemples révèlent la réticence des entreprises face aux surcoûts induits par ces équipements et la résistance des anciens districts industriels à cette concurrence amplifiée par l’investissement médiatique de ces mêmes
métropoles régionales. S’il est vrai que la crise économique n’a rien arrangé, l’anticipation des besoins des entreprises par les villes semble inducteur de risque
d’excès d’offre et de dérive fiscale.
• À long terme, l’urbanisation croissante de l’économie oblige le réseau de villes à prévoir les capacités d’accueil des entreprises constituées en réseau, donc à
renforcer les infrastructures de RES.TII. La hiérarchie de RES.URB entre métropoles et villes moyennes doit permettre une adéquation optimale de la hiérarchie
comparable de RES.ENT entre grandes entreprises et PME. Cependant, il est difficile de prévoir si l’évolution conjointe des deux réseaux (contrôlée par celle de
RES.TII) convergera vers un équilibre de type GV/GE et PMV/PME ou vers une métropolisation équilibrée, chaque métropole étant le centre d’un réseau intégré
d’entreprises, des GE aux PME.
Stratégie de RES.TII : bouclage du système Une stratégie de diversification optimale de l’offre caractérise ce réseau. La multiplicité des types de
services qui lui sont demandés, plus ou moins précisément, plus ou moins rapidement, exigent deux caractéristiques a priori contradictoires : souplesse et normalisation. Une segmentation du marché permet de concilier ces deux exigences : alors que l’existence de rendements croissants incite les opérateurs de ce réseau à normaliser, standardiser leur offre au maximum afin de faire jouer pleinement cet avantage, la diversité de la demande contraint à l’établissement de « sous-stratégies »
compatibles avec la stratégie de long terme.
A titre d’exemple, la direction « voyageurs » de la SNCF doit rendre compatible la demande de rapidité et de fréquence entre grandes villes émanant des entreprises (optique « classe affaires » et TGV) et l’exigence de prix faibles et de liaisons entre villes moyennes des particuliers (réseau « classique »). Le réseau autoroutier
doit permettre le meilleur acheminement du trafic marchandises grâce à la desserte des zones industrielles tout en garantissant aux automobilistes la plus grande facilité d’accès : deux logiques de connexion prévalent alors qu’une contrainte de rentabilité limite le nombre total d’entrées-sorties. Faut-il installer la bretelle à mi-chemin entre zone industrielle et ville, ou systématiquement favoriser la desserte marchandises au détriment des particuliers ? France Telecom doit, sur un même support (fibre optique) de capacité donnée, satisfaire la demande des particuliers en communications téléphoniques, regroupée sur quelques heures de pointe, et celle des entreprises en communications multi-services (fax, Transpac, vidéotex…), plus étalée dans le temps.
On s’aperçoit à l’aide de ces quelques exemples que les mêmes types de contraintes pèsent sur les différents types de sous-réseaux de RES.TII : capacité, rentabilité
et équité3. La capacité étant fixe à court terme, le risque d’encombrement voire de saturation doit être évité au maximum (basculement possible sur des réseaux de
secours (cf. EDF)), sans pour autant avoir la possibilité légale ou technique de recourir à la dissuasion de la demande par les prix. Le choix de capacité, plus ou
moins irréversible, est la première des décisions de ces réseaux. La rentabilité impose une demande solvable et l’absence de capacité excédentaire. L’équité doit assurer
à tous les usagers potentiels un accès au réseau.
Une double stratégie : « suiviste » et offensive Le problème classique de la compatibilité efficacité/équité se pose systématiquement pour les opérateurs des réseaux de RES.TII. Une façon de le résoudre consiste à « garantir » la rentabilité des investissements de capacité en imposant une période d’« observation » entre la date de constatation d’une demande de capacité supplémentaire et/ou d’innovation de la part de RES.ENT ou RES.URB et la réponse à cette demande.
Deux cas se présentent :
1) Cette demande non immédiatement satisfaite disparaît ou se reformule à la baisse au terme de cette période. Les opérateurs des réseaux de RES.TII ne modifient pas leur stratégie de long terme et imposent leur offre à une demande qui s’adapte.
2) Persistance de la demande au terme de la période. Deux situations se présentent de nouveau : soit les réseaux de secours ou parallèles suffisent à satisfaire la
demande excédentaire, et l’on retrouve le cas précédent, soit l’excès de demande n’est pas couvert par ces réseaux, ce qui peut s’intepréter comme un signal fiable
de demande solvable stable, déclenchant un programme d’investissement.
Revenons en détail sur la demande excédentaire. Lorsque nous disons que les réseaux de secours ou parallèles couvrent la demande exédentaire, nous évoquons des pointes temporelles ou spatialisées de demande d’ampleur et de régularité insuffisantes pour justifier l’engagement de nouveaux investissements de la part
des réseaux principaux.
Les exemples sont nombreux de cet ajustement à la marge par les réseaux de secours : la SNCF affrète des trains supplémentaires aux dates anticipées de pointe de
trafic ; le réseau routier propose des itinéraires de délestage ; EDF met en service des centrales d’appoint en hiver ; les Agences de Bassins utilisent leurs réserves
d’eau stockées en cas de sécheresse ; les Télécom gèrent le problème par la file d’attente, etc.
Les réseaux privés sont un second moyen de satisfaire la demande excédentaire : des liaisons par cars ou par avion complètent les liaisons « officielles » entre
certaines villes à certaines périodes de l’année ; des entreprises offrent des prestations exceptionnelles (rapidité, type d’objet transporté, etc.) à des demandes trop
spécifiques pour être satisfaites par le réseau principal sans dérogation aux règles de tarification en vigueur. Les usagers empruntant ce circuit parallèle privé
sont prêts à acquitter un prix plus élevé que celui pratiqué par le réseau principal. L’observation de ces prix de marché par ce même réseau lui permet d’estimer la
demande solvable qu’il pourrait satisfaire grâce à l’extension de sa capacité et à la diversification de son offre. Il va alors calibrer ses investissements afin de
récupérer la demande excédentaire auparavant servie par le secteur privé, en proposant un prix inférieur ou égal au prix de marché le plus bas, à condition que sa
rentabilité globale soit assurée.
Ce schéma d’adaptation est purement théorique ; en réalité, les réseaux privés peuvent concurrencer à terme les réseaux principaux et s’approprier définitivement la
demande excédentaire. Un risque existe alors de perte de demande si les réseaux privés se développent (en cas de déréglementation) en offrant des services de meilleure qualité à des prix inférieurs ou égaux.
Une incertitude pèse ainsi sur les opérateurs de RES.TII : comment savoir qu’une demande nouvelle est durable et qu’ils ont intérêt à y répondre rapidement, ou,
au contraire, que cette demande est temporaire donc qu’elle n’a pas à déclencher des investissements nouveaux ? Dans ce cas, si les estimations sur la demande sont correctes, une régulation par le recours au secteur concurrentiel permet aux opérateurs d’optimiser leur stratégie de long terme. Cependant, parfois cette
régulation est impossible (cas d’un monopole absolu comme l’énergie) et un rationnement apparaît.
CONCLUSION
dans des délais beaucoup plus courts. Un renforcement mutuel des deux sous-réseaux (« PM ») peut s’ensuivre.
• L’amélioration des liaisons entre métropoles renforce le pouvoir de négociation des grandes entreprises, qui bénéficient d’une homogénéisation de l’offre de
services du réseau RES.TII dans ces métropoles, qui doivent alors élaborer des stratégies plus complexes reposant principalement sur le concept classique
d’économies d’agglomération. Ainsi, plus une ville aura investi tôt en infrastructures de télécommunication et de transport, mais aussi en promotion de son « image »
(ville de statut international ou pôle de recherche et/ou d’innovation), plus elle bénéficiera de l’attrait qu’elle exerce sur RES.ENT, donc moins elle devra recourir aux
incitations fiscales, porteuses de déséquilibre financier.
• Les opérateurs de réseaux jouent un rôle essentiel dans la coordination des trois réseaux. Ils permettent leur mise en contact et conditionnent, par leurs choix
d’investissement, leur développement. La logique industrielle de ces opérateurs, bénéficiant le plus souvent du monopole, s’impose alors aux réseaux. Le poids de
l’Etat, contrôlant la majorité de ces opérateurs, est donc essentiel puisqu’il décide des projets de long terme. L’efficacité de la décentralisation, donnant plus de
liberté aux villes et aux régions, repose ainsi fortement sur ces projets ; la privatisation progressive des opérateurs peut modifier cet état de choses. A l’issue de ce travail très schématique, préliminaire à une modélisation de l’articulation des trois réseaux urbain, d’entreprises et d’infrastructures de transport et d’information, quatre conclusions principales peuvent être dressées et quatre voies de recherche proposées :
• La différence de temporalité des trois réseaux, source de délais et d’inertie entre demande et offre, tend à s’effacer face à leur intégration croissante : la concentration industrielle perdure malgré les innovations de transport et télécommunication, du fait de l’amélioration des économies d’agglomération justement permise par
ces innovations, qui ont permis des extensions de capacité induisant en retour un renforcement de la polarisation des activités dans les métropoles.
• La stratégie de chaque réseau est à décomposer en une analyse des stratégies de leurs constituants, variables selon leur taille : les PME tendent, du fait de
leur éviction relative des métropoles par les grandes entreprises (lorsqu’elles ne sont pas leurs sous-traitants), à négocier avec les villes petites et moyennes (PMV),
Voies de recherche
• La formalisation de l’équilibre du système composé des trois réseaux demande une analyse approfondie de leur fonctionnement individuel et de la dynamique de
leurs relations deux à deux. Plusieurs logiques se superposent : une logique microéconomique, pour chaque agent de chaque réseau et pour chaque opérateur ; une
logique macroéconomique et institutionnelle pour le système agrégé. La complexité des interrelations spatiotemporelles est cependant telle que la formalisation de
l’équilibre multi-réseaux ne peut qu’être une approximation grossière de la réalité. Mais à quoi sert précisément la formalisation, sinon à rendre interprétables dans un
cadre simplifié des phénomènes parfois invisibles ou trop complexes dans la réalité ?
• La compréhension des choix de localisation des entreprises, notamment, doit passer entre autres par la formalisation des mécanismes d’« enchères » mis en
place par les grandes entreprises pour bénéficier, en situation de forte concurrence, de rabais de leurs coûts fiscaux, par celle du contournement des rationnements
de l’offre des réseaux publics par le recours aux réseaux privés. Autrement dit, il est nécessaire de conférer aux entreprises le rôle d’impulsion et d’innovation en amont
par rapport aux autres réseaux. En quelque sorte, on rejoint alors l’approche schumpeterienne de l’entrepreneur à court terme. A long terme, il faut considérer ces
réseaux passifs à court terme comme structurant l’univers de décision des entreprises. Celles-ci doivent alors anticiper au mieux l’évolution à moyen terme de ces
grands réseaux.
• La séquentialité des besoins doit être clairement établie. Si, a priori, le réseau d’entreprises donne l’impulsion aux autres réseaux, qui répondent de manière différée à sa demande, le réseau de villes peut également innover en proposant des structures d’accueil des entreprises reposant sur le réseau d’infrastructures de transport et de télécommunication. La mutation des métropoles régionales, permise par une diffusion des innovations de ce réseau offre de nouvelles perspectives de recherche et relance la réflexion sur l’enchaînement des demandes et offres. L’inertie peut alors provenir non plus des villes mais des grandes entreprises, qui hésitent individuellement à abandonner des économies d’agglomération certaines pour des avantages de localisation dépendant des décisions de l’ensemble des grandes entreprises, donc du réseau tout entier.
• Quel est l’impact de la privatisation progressive des opérateurs de réseau ou de l’application qu’ils font, dans un cadre public, des règles de tarification libérales
remettant parfois en cause le principe d’équité ayant longtemps prévalu dans la gestion par l’Etat des grands réseaux ? Privatisation et décentralisation, liberté des
opérateurs et des responsables des grandes villes : un défi semble lancé par cette évolution parallèle à l’analyse économique approfondie de l’équilibre des trois
grands réseaux constituant l’armature du territoire.
NOTES
1. Une information interne à RES.ENT utilise comme support RES.TII, sans en dépendre autrement, alors qu’une information externe à RES.ENT (type Eurostat ou Insee) est une production de RES.TII, du moins comme intermédiaire, donc support toujours mais entre des agents de réseaux distincts.
2. Certains travaux montrent que des agglomérations très industrialisées ont une stratégie quelque peu différente: elles démontrent aux entreprises envisageant de s’y localiser les avantages de localisation qu’elles en retireront, et n’offrent pas les « cadeaux » fiscaux ou d’infrastructures évoqués ici. Cette tique est, entre autres, celle menée par la communauté urbaine de Lyon (Courly).
3. Ce dernier point a sa traduction spatiale: péréquation pour la SNCF entre lignes rentables et lignes non rentables (usage de la tarification uniforme au kilomètre, qui commence à céder la place à une tarification duale (Résa pour le réseau TGV et classique pour le reste des liaisons), début de modulation des péages sur autoroutes (et apparition du péage urbain) sur les axes les plus chargés, modification des zones de tarification Télécom pour rétablir l’équité urbain/inter-urbain, etc.
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Citer ce document :
Gannon Frédéric. Réseaux de villes et réseaux d’entreprises : quelle intégration ?. In: Flux, n°20, 1995. pp. 28-39;
doi : https://doi.org/10.3406/flux.1995.1026
https://www.persee.fr/doc/flux_1154-2721_1995_num_11_20_1026