SEMIOTIQUE ET LITTERATURE
La sémiotique française, et plus généralement européenne, s’est formée dans
les années cinquante et les années soixante, à la rencontre de la linguistique
(Barthes, Greimas), de l’anthropologie (Lévi-Strauss), et de différents courants
formalistes, les uns issus de la critique littéraire (la “nouvelle critique”), et les
autres de la logique mathématique. Une partie des recherches ont évolué vers ce
qu’on appelle plus couramment la “sémiologie” – l’étude des signes -, sous l’influence
de la théorie de la communication. Mais le courant le plus représentatif est resté
fidèle, malgré sa très grande diversité, à une sémiotique fondée sur le principe d’une
“sémantique” des discours, textes ou images.
SÉMIOTIQUE DU DISCOURS
Dans cette perspective, l’analyse sémiotique des textes part du principe que
tout discours est, non pas un macro-signe ou un assemblage de signes, mais un
procès de signification pris en charge par une énonciation. La théorie sémiotique est
donc conçue pour rendre compte des articulations du discours conçu comme un tout
de signification. Pour cela, elle doit néanmoins, pour mieux le saisir, segmenter ce
“tout de signification”; une des méthodes possibles consisterait à reconnaître dans
chaque texte un certain nombre d’unités formelles, dont les limites seraient définies
par les différentes “ruptures” qu’on peut repérer à la lecture : ruptures spatiales,
temporelles, actorielles, etc. Mais cette démarche, quoique indispensable, a ses
limites : elle rencontre en fin de compte la question des “unités minimales”, et
rejoint ainsi le découpage en signes, dont elle se défend pourtant.
C’est pourquoi la théorie sémiotique a adopté un autre type de segmentation,
pour mieux saisir son objet, sans toutefois le dénaturer : elle met en place un
ensemble de niveaux de signification; pour l’essentiel, et du plus abstrait au plus
concret, ces niveaux sont ceux des structures sémantiques élémentaires, des
structures actantielles et modales, des structures narratives et thématiques, et des
structures figuratives. Chaque niveau est supposé, en allant du plus abstrait au
plus concret, être réarticulé de manière plus complexe dans le suivant.
Cette sémiotique était donc plutôt destinée à l’approche des textes, des
ensembles signifiants, des discours vivants, qu’à celle des signes proprement dits.
Il était donc assez naturel qu’elle s’intéresse très tôt au texte littéraire; mais il faut
tout de suite préciser qu’elle se penchait alors sur le texte littéraire avec les
méthodes (formelles, notamment) qui avaient été rodées sur les mythes et les
contes. En ce sens, la sémiotique littéraire était à cet égard une sorte
d'”anthropologie structurale” du texte littéraire. Eclairage nouveau et fécond, certes,
mais qui ne pouvait satisfaire complètement les spécialistes de la littérature.
La sémiotique est devenue progressivement une sémiotique du discours : elle
assume par là ce à quoi elle était dès le départ destinée, c’est-à-dire à élaborer une
théorie des ensembles signifiants, et non une théorie du signe; mais, pour ce faire,
il lui fallait se donner des outils qui permettent de saisir le discours vivant, le
discours en train de s’énoncer, le discours qui invente ses propres formes et ne se
contente pas de puiser dans un “trésor” préétabli de structures, de motifs, de
situations et de combinaisons. La sémiotique est devenue une sémiotique du
discours en redonnant toute sa place à l’acte d’énonciation, aux opérations
énonciatives, et pas seulement à la représentation du “personnel” d’énonciation
(narrateurs, observateurs, etc.) dans le texte : elle est alors à même d’aborder le
discours littéraire non seulement comme un énoncé qui présenterait des formes
spécifiques, mais aussi comme une énonciation particulière, une “parole littéraire”,
comme dirait Jacques Geninasca .